OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 A-Listers: éloge de la transdisciplinarité et de l’action http://owni.fr/2011/01/08/a-listers-eloge-de-la-transdisciplinarite-et-de-l%e2%80%99action/ http://owni.fr/2011/01/08/a-listers-eloge-de-la-transdisciplinarite-et-de-l%e2%80%99action/#comments Sat, 08 Jan 2011 17:00:43 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=41007 Ce qui fascine chez les A-Listers, ces bloggers incontournables de la blogosphère anglophone : le caractère multiple de leurs compétences et le fait qu’il s’agit de personnalités qui, au-delà de la réflexion, sont en permanence dans l’action.

La richesse de leur parcours improbable leur donne une perspective originale et une meilleure appréhension des choses électroniques. Et cette compréhension intime des changements sociaux que nous vivons  leur confère une plasticité professionnelle et une aisance naturelle pour réinventer continuellement leur vie avec des activités où s’entremêlent recherche, écriture, business, consulting, art et technologies. La vie 2.0, quoi.

Hypertextual l’avait énoncé dans sa profession de foi [fr] : nous ne retrouvons pas cette pertinence dans la blogosphère.fr [fr], et le sentiment est qu’indépendamment des raisons évoquées alors, un motif supplémentaire est ce manque de compétences transdisciplinaires au service de l’action.

Edgar Morin [fr] rappelait que la délimitation des disciplines [fr] a permis l’hyper-spécialisation et, ainsi, la modernité de la recherche scientifique. Modernité succédant à la phase classique où les savants savaient tout sur tout, avec une grande dispersion de l’énergie et la concentration.

L’expérience tendrait à montrer un certain retour au classicisme pour la discipline des sciences connectées, à la fois sociales et technologiques, où ceux qui ont le mieux et le plus tôt perçu les perspectives offertes par les outils collaboratifs d’internet présentent des parcours et des compétences riches, confinant parfois au romanesque.

Petit panorama :

Hugh McLeod : l’illustrateur de la blogosphère

Hugh Mc Leod : ancien publicitaire, illustrateur officiel de la blogosphère avec ses dessins gribouillés sur le dos des cartes de visite. Un des blogs Marketing les plus populaires et les plus pertinents. Après avoir vécu à New York et Londres, il vit aujourd’hui à Alpine, Texas. Il y a monté un atelier pour enfin faire de l’art et profite de sa notoriété pour en vivre en vendant depuis internet des exemplaires limités et signés.

En parallèle il écrit des self-help books inspiré de son parcours étonnant. Humour rustaud, chroniqueur impitoyable des médias sociaux et de l’entreprise,  Hugh a construit étape par étape sa vie et inventé son activité professionnelle. Ou plutôt : il a agrégé des activités différentes pour composer sa vie professionnelle : illustration, oeuvres d’art, livres et consulting en marketing avec des entreprises aussi différentes que Microsoft, Dell ou les vins Stormhoek.

Son fait d’armes : l’essai How to be creative (Hypertextual en parle ici) qui a inspiré son livre Ignore everybody.

Kathy Sierra : from fitness to Twitter

Kathy Sierra est diplômée en sciences physiologiques. Ses dix premières années professionnelles l’ont été dans l’industrie du fitness. Sujette à des crises d’épilepsie, elle se fascine pour les sciences cognitives et suit des cours à l’UCLA pour ensuite se diriger vers le monde des médias interactifs et participer à la conception de jeux vidéos. Elle entre ensuite à Sun Microsystems où elle devient instructrice dans le langage Java (le langage de programmation le plus utilisé dans le monde informatique depuis le début du siècle) et conçoit les sujets des certifications professionnelles du langage.

Elle monte le site communautaire JavaRanch en 98, site qui obtient instantanément un succès spectaculaire et assied devant l’éternel son statut d’icône auprès de la communauté des geeks. Elle entre dans ma vie professionnelle le 12 septembre 2001 : alors consultant indépendant dans les systèmes de réservations de l’industrie aérienne, quelque chose me dit que je ferais mieux de changer de branche. La collection qu’elle dirige chez O’Reilly (Head First Series) s’avère un outil extraordinaire (ludique et très visuel) et parfaitement complémentaire de JavaRanch pour préparer des certifications professionnelles et faire ainsi évoluer mes compétences.

Elle dirige ensuite le blog de marketing/brand management/community building Creating Passionate Users qui obtient un succès formidable jusqu’à la fameuse affaire des menaces de mort qui a secoué la blogosphère en 2007. Elle a été une des premières à entrevoir la puissance de Twitter où on peut la suivre aujourd’hui.

Ses faits d’armes : l’incroyable collection de formation Head First Series où elle met en pratique ses études des sciences cognitives avec des visuels rigolos, son sens de l’humour tongue in cheek, et une approche positive et volontariste qui confine au solaire (et qui lui a valu d’incessantes attaques – dont les menaces de mort). Et bien entendu l’inépuisable blog Creating Passionate Users.

Penelope Trunk : volley ball, syndrôme d’asperger et generation Y

Penelope Trunk (c’est un pseudo – on tout de voit tout de suite le sens de la prosodie) a commencé à écrire en 99 dans eCompany ou The Boston Globe. À l’époque executive dans de grandes entreprises (après avoir été joueuse professionnelle de volley-ball) il est ensuite assez difficile de la suivre : sa biographie fluctue en fonction des moments et des patronymes successifs dont elle s’est affublée.

Elle est aujourd’hui à la tête de Brazen Carreerist, une start-up proposant un réseau social professionnel pour la Generation Y, génération qui la fascine et sur laquelle elle est intervenue dans un certain nombre de conférences.

Des dizaines de milliers d’abonnés à son blog sont subjugués par son ingénue transparence : elle y parle tour à tour de son business, son syndrôme d’Asperger, ses aventures amoureuses avec son fermier du Wisconsin, son experience du 11 septembre (elle était alors sur le site du WTC), ses avortements ou encore de comment son père a abusé d’elle. Billet dans lequel elle a cette phrase incroyable : “I don’t have more stuff that is difficult to talk about. I just have more difficulty not talking about difficult stuff.”

Son fait d’armes : son tweet en direct où elle raconte qu’en plein board-meeting elle est en train de faire une fausse couche, tweet qui a suscité un tollé et pour lequel elle a répondu avec un panache remarquable en direct sur CNN.

David Heinemeier Hansson : small is the new big en action

David Heinemeier Hansson fait partie de ses geeks qui ont contribué à rendre l’informatique terriblement sexy. Tout au moins aux États-Unis (avec Wired donc) où c’est aujourd’hui communément admis qu’il s’agit d’une occupation créative. Je vous laisse mesurer le chemin qu’il nous reste culturellement à accomplir

Anyway : fraîchement émoulu de sa business school Danoise, DHH part avec sa chérie à Chicago où il rejoint le non moins remarquable Jason Fried et transforme 37Signals d’une Web Agency dont le manifesto cite Vladimir Nabokov et David Ogilvy en une start-up florissante qui ne fait rien comme tout le monde pour des résultats à l’insolente réussite.

Tout le monde développe des applis web en PHP ou en Java [fr] ? DHH récupère le langage Ruby [fr] et invente le framework Ruby on Rails qu’il offre à la communauté open source. Pour mesurez le truc essayez d’imaginer un diplômé d’HEC qui a) conçoit un framework de développement web et b) préfère l’offrir à la communauté open source plutôt qu’accepter une offre mirobolante d’un éditeur.  Framework qui décuple la productivité et qui dispose d’une communauté de milliers de développeurs et de millions d’utilisateurs : Twitter et Slideshare par exemple sont développés en RoR.

Son fait d’arme : le framework RubyonRails bien sûr mais surtout son insolente gouaille GenY qui lui permet de mettre en boîte Michael Arrington, le chroniqueur officiel de la Silicon Valley au terme d’une étincelante présentation à la Start-up school 2008 de Stanford.

danah boyd : Erwing Gofmann sur BoingBoing

Sociologue des médias sociaux et pure geek capable de hacker son Mac OS X. danah boyd (qui insiste pour que son noms et prénom soient orthographiés en minuscule) est une spécialiste de la relation des ados avec le monde connecté. Il s’agit aussi d’une experte et d’une actrice majeure de la culture électronique du XXIe. Je cherche encore quelqu’un chez nous citant à la fois Lawrence Lessig ou Cory Doctorow et Erwing Goffman ou Hannah Arendt.

À la manière des autres A-listers dont on parle ici, et de la génération Y dont elle est un magnifique étendard, danah est d’une transparence touchante sur son blog : on a ainsi appris en temps réel l’obtention de son PHD, ou ses problème de burning lap des suites de l’utilisation abusive de son MacBook.

Elle participe à l’ouvrage collectif Rebooting America [pdf] une autre pierre philosophale de la culture connectée.

Il aura fallu attendre 2009 et son essai [pdf] sur l’analogie entre la désertion de certains quartiers et celle de MySpace par les communautés WASP pour en entendre parler dans les médias français.

danah travaille aujourd’hui au centre de recherches de Microsoft à Boston et est membre du Berkman Center for Internet and Society de l’université d’Harvard.

Son fait d’armes : un essai sur la reproduction des classes sociales dans le monde connecté avec une division qui prend la forme des groupes subalternes chez MySpace et hégémoniques chez Facebook. Hypertextual en parle ici et . Supernormal [fr] en a fait une chanson : Nos vies électroniques [fr].

Les autres

On pourrait rajouter ici, mais la place et le temps manquent :

Bon surf !

Billet initialement publié sur #hypertextual

Image CC Flickr Lollyman

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http://owni.fr/2011/01/08/a-listers-eloge-de-la-transdisciplinarite-et-de-l%e2%80%99action/feed/ 3
37 Signals: leadership 2.0 en action http://owni.fr/2011/01/02/37-signals-leadership-2-0-en-action/ http://owni.fr/2011/01/02/37-signals-leadership-2-0-en-action/#comments Sun, 02 Jan 2011 15:06:11 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=40729 La question que l’on me pose souvent lorsque je saoule mes potes/collègues/mon chien avec les enjeux de l’intégration des digital natives dans l’entreprise est la suivante : comment faire pour convaincre les tenants de cette culture d’adhérer à un projet commun, une réalisation commune, une vie professionnelle commune ?

La réponse est d’une évidence biblique : le leadership. Un leadership pour une génération post-idéologique. Dont l’essence réside dans des principes simples et clairs à mettre en œuvre plutôt que dans des valeurs ronflantes auxquelles personne ne croit.

Si l’entreprise 2.0 est l’immersion graduelle de l’organisation dans la culture web, au sein des digital natives companies cette culture est immanente, il s’agit d’un postulat tacite.

Pour illustrer cette assertion (et comme promis), une présentation de 37signals [en], une entreprise d’indigènes du numérique qui obtient des résultats remarquables tant au niveau comptable qu’au niveau de l’influence dont ils jouissent dans l’industrie online.

Anti nonsense manifesto

37signals est initialement une web agency créée à Chicago par Jason Fried au tournant du siècle. Il ne s’agit pas juste d’une autre web agency. Elle affiche déjà des principes forts avec son manifesto originel : ergonomie, design, simplicité, productivité, no nonsense.

Il s’agit d’une petite structure où les collaborateurs sont distribués aux quatre coins des États-Unis. Pour résoudre ce problème 37Signals décide de développer une application de gestion de projets.

La petite équipe recrute David Heinemeier Hansson [en] qui n’utilise aucune des technologies standards (Java, PHP etc.) pour le développement. La raison : ces technologies sont trop complexes et pas suffisamment productives. Fan de l’agilité et de la souplesse d’un obscur langage de script inventé une dizaine d’années plus tôt (Ruby), il développe son propre framework de développement web : Ruby on Rails [en].

Au terme d’une réalisation rapide, 37signals propose le service Basecamp [en] en mode SaaS et passe le cap du millionième utilisateur [en] en novembre 2006.

Start-up with an opinion

Le framework RoR suscite l’adhésion de la communauté du développement logiciel à l’époque fortement orientée technologies Java.

Des pointures telles que Martin Fowler [en] ou Bruce Tate louent [en]la grande simplicité et les principes forts de ce framework (convention over configuration etc.).

Getting real

De l’expérience tirée par le développement de cette application et de son succès, Jason Fried rédigera un essai : Getting real [en].

Livre que l’on peut lire gratuitement sur le web et qui aura un écho retentissant pour ses positions férocement anti-corporate et ses principes radicaux : pas de spécifications, pas de planning, pas de réunions, faire moins [en] de fonctionnalités que la concurrence mais mieux les penser et réaliser, ne pas anticiper sur des problèmes que l’on n’a pas encore (scalabilité, etc.) et embrasser les contraintes, authentiques opportunités d’innovation.

Une sorte de pierre philosophale de l’alternative business [en] qui contribue au flot continu de nouveaux lecteurs sur le blog Signal vs. Noise [en]. Ainsi nait une réputation qui permet, entre autres, à Fried et Hansson [en, vidéo] de donner des conférences qui arrondissent généreusement les revenus de la société.

The next small thing

Toutes les start-ups rêvent de grossir encore et encore pour devenir d’importantes multinationales ?

37signals met un point d’honneur à demeurer une très petite entreprise : ils ne sont qu’une vingtaine aujourd’hui. Cette taille modeste leur permet de rester extrêmement agile, de progresser par petites touches et leur évite d’avoir à prendre de grandes décisions. Surtout, cela leur permet de se concentrer sur le cœur [en, pdf] sur leur activité et d’élaguer tout ce qui n’est pas fondamental.

L’accent est mis sur la productivité et la confiance : ” (J. Fried, [en]).

Et bien évidemment la simplicité, cette “sophistication ultime” selon Léonard de Vinci : “Simple requires deep thought, discipline, and patience – things that many companies lack.” (Matt Linderman)

Business model conundrum

Dans son excellente présentation A Secret to making money online [en, vidéo] à Stanford en 2008, Hansson prend le contre-pied des start-ups (présentes à la conférence pour vendre leurs idées aux investisseurs) et introduit avec un humour implacable, la réflexion qui a amené le business model :

The classic conundrum : You have a

1-great application and then
2-?????? (something magical happens and then)
3-You make profits.

We have been doing research, experiment etc. We found out that the best option for us was to 2 – put a price on the application to make profit. It’s too simple to be true but believe me it works.

Indépendance financière

Encore à l’opposée de la majorité des start-ups, 37signals a fait le choix courageux de facturer ses services sur la base d’un abonnement mensuel aussi facile à souscrire qu’à annuler. L’objectif est d’assurer une indépendance financière.

À ce titre, ils n’ont accepté qu’un seul investisseur à ce jour : Jeff Bezos [en]. Bezos, qui connait deux-trois trucs sur le online business, leur garantit une confiance totale et s’interdit la moindre ingérence dans leurs affaires.

Anecdote amusante : lorsqu’ils ont officiellement démarré le service Basecamp ils ne savaient pas encore comment ils allaient le facturer à leurs clients à la fin du mois. Il ont monté leur solution de paiement dans les trente jours avant l’échéance. Du just in time hardcore.

Working hard is overrated

Toutes les start-ups ont la culture de l’overtime ? DHH s’en prend ouvertement [en] à Jason Calcanis [en] lorsque ce dernier recommande dans ses principes de gestion d’une start-up [en] de ne recruter que des workaholics.

Leur position : designer, concevoir et développer des applications est un métier créatif et il est impossible d’être créatif plus de quatre ou cinq heures par jour. 37signals décide donc de passer à la semaine de quatre jours [en] (woops ! merci Sylvain). Working hard is overrated [en] indeed pour citer l’impeccable Caterina Fake [en], la foundatrice de Flickr.

No meeting

Le Mal pour Fried et ses lascars : les interruptions. L’incarnation du Mal, l’Antéchrist, ce sont les réunions. Selon Fried, pour être créatif il faut être dans la zone, une sorte d’état second nécessitant concentration et toutes ces interruptions empêchent d’y parvenir.

Pour communiquer de manière fluide sans interrompre les tâches des uns et des autres ils créent le service Campfire [en], un business group chat.

Ban the four letter words

Le leadership c’est aussi une communication saine et maitrisée. 37signals a ainsi banni une série de four-letter-words [en] de son vocabulaire. Ces mots simples et passe-partout qui ont souvent des effets désastreux : must, need, just, cant, easy, only, fast.

Reality is a terrible collaborator

Pour Fried, le planning ne sert à rien [en]. Il ne s’agit que de vagues suppositions qui ne servent qu’à rassurer un management avide de contrôle.

À quoi bon perdre du temps à prévoir l’avenir quand Reality is a terrible collaborator [en]. Où serons-nous dans dix ans ? In the business (Fried).

Do the right thing

L’incontournable Peter Drucker distingue le leadership du management en ces termes : “Management is doing the things right, while leadership is doing the right thing.”

En proposant des services simples mais parfaitement pensés et conçus à des SMBs qui le plébiscitent [en], et en s’appuyant sur des principes forts qu’ils appliquent sans transiger, Fried et Hansson donnent une grande leçon de leadership.

Cette intransigeance est parfois identifiée à de l’arrogance : ils cultivent ainsi un grand nombre de détracteurs. Ce qui alimente davantage un réservoir d’admirateurs s’identifiant d’autant plus à la marque et sa culture que ses opinions sont tranchées et en ligne avec l’action.

Leur statut d’icône 2.0 est scellé par la présence de Basecamp dans la mythique présentation Meet Charlie [en], à ce jour la meilleure introduction aux enjeux de l’Entreprise 2.0.

Wrongfooted enterprise

37signals a démontré avec panache que les digital natives savent gérer leurs affaires en intégrant complètement les contraintes et caractéristiques du monde du XXIe siècle. Pour un effet de levier ahurissant : douze personnes (sur quatre jours) pour une société qui propose des services informatiques à des centaines de milliers d’utilisateurs. Le tout en prenant le contrepied parfait des principes au cœur des organisations telles que nous les connaissions au siècle dernier.

Toujours Peter Drucker, cette fois-ci dans Management challenges of the XXIst century :

La contribution du management au XXe siècle : une productivité multipliée par 50 chez le travailleur manuel. La plus importante contribution que le management doive apporter au XXIe siècle ? Identiquement d’accroître la productivité du travailleur du savoir.

Cet objectif d’augmentation de productivité du travailleur du savoir est manifestement atteint chez 37signals.

À bien y réfléchir il s’agit probablement là du motif principal de crainte de l’entreprise devant la mise en œuvre d’une approche 2.0 : pour la première fois depuis le taylorisme, elle est confrontée à un modèle alternatif et insaisissable qu’elle ne comprend pas et qui rencontre une insolente réussite.

Billet initialement publié sur #hypertextual ; image CC Flickr Mike Rohde

English version

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http://owni.fr/2011/01/02/37-signals-leadership-2-0-en-action/feed/ 7
Entreprise 2.0: la tentation de l’utopie http://owni.fr/2010/12/21/entreprise-2-0-la-tentation-de-l%e2%80%99utopie/ http://owni.fr/2010/12/21/entreprise-2-0-la-tentation-de-l%e2%80%99utopie/#comments Tue, 21 Dec 2010 07:30:03 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=39691

Parmi les activistes Entreprise 2.0, il y a deux familles : les révolutionnaires et les évolutionnaires [en].

Pour les premiers, il ne fait aucun doute que les plateformes collaboratives émergentes sont des outils révolutionnaires et que leur intégration au sein des entreprises va avoir des conséquences spectaculaires sur l’organisation de ces dernières.

Pour les seconds, ces outils doivent s’intégrer aux processus existants car, révolutionnaires ou pas, l’objectif de ces outils est d’apporter quelque chose de quantifiable à l’entreprise.

Les premiers ont parfois tendance à être transportés par une certaine ferveur pouvant devenir embarrassante, et sont parfois taxés par les seconds d’utopisme, d’angélisme ou de niaiserie.

#hypertextual se situe plutôt parmi les premiers et souhaite avec ce billet devenir raisonnable et exiger (ce que d’aucuns identifient à) l’impossible …

Entreprise 2.0 vs les Bisounours

Ce billet est inspiré par deux articles. Le premier est la contribution (par ailleurs remarquable) de Vincent Berthelot au livre blanc Entreprise 2.0 – le chapitre Relations sociales :

L’entreprise 2.0 est, on le sait, un peu victime d’une vision rose voire bisounours de l’entreprise, la vision d’une entreprise où tout le monde collabore, communique, travaille, innove pour une performance collective forcément meilleure.

Le second est celui de Bertrand Duperrin : Entreprise 2.0 : la valeur ou le déni

Le microcosme 2.0 se complait dans une forme d’angélisme fondé sur une sorte de “flower power management” qui aurait été de bon teint dans les années 70. Tout doit n’être qu’engagement volontaire, passion, démonstration, engouement. Le process c’est le vieux monde et c’est sale.

Il s’agit là de perspectives de consultants qui sont dans l’action, au plus près des directions d’entreprise pour les accompagner dans la mise en œuvre de ces nouveaux outils numériques au sein de leur organisation. Lorsque l’on sait combien l’entreprise.fr est particulièrement conservatrice et rétive aux changements structurels, on comprend combien il leur est nécessaire à tous les deux d’être extrêmement pragmatiques.

Rester crédible en délestant leurs discours de la guimauve marketing qui peut imbiber celui de consultants peu scrupuleux est une chose. Se débarrasser d’un revers de main des principes et de la culture implicite de ces outils en est une autre.

Start with the end in mind…

… nous invite Stephen Covey dans 7 Habits of highly successful people [en]. Et the end in mind dans notre cas c’est le modèle Internet.

Avec Wikipedia et le logiciel libre, Internet à démontré à la plus grande échelle de collaboration de l’histoire humaine la formidable aptitude des plateformes collaboratives émergentes (blogs, wiki, forums, réseaux sociaux) à créer de la valeur à partir de flux d’information et à spontanément s’organiser pour coordonner des activités collaboratives à partir de multiples contributions dispersées et non hiérarchisées.

Gary Hamel (le most influential business thinker selon le Wall Street Journal [en] – pas exactement un repaire de vieux beatniks illuminés) dans son essai The Future of management [en] y voit là le modèle de l’entreprise de demain.

Toutes ces nouvelles plateformes numériques constituent la boite à outil du management du 21e siècle [en]. Dans leur double fond, elles importent une culture et des principes depuis Internet au sein de l’entreprise : conversation, agilité, simplicité, transparence et confiance plutôt que diffusion, bureaucratie, complexité, sécurité, et contrôle. Non pas que les secondes valeurs soient à proscrire mais elles ne déterminent plus le comportement par défaut : ce sont les premières qui le font.

Quels problèmes sommes nous en train de régler ?

Dans son article, Bertrand identifie l’angélisme du microcosme 2.0 comme motif principal au fait que rien n’a changé car selon Bertrand cet angélisme refuse de se confronter à la réalité de l’entreprise, la tuyauterie de son fonctionnement qu’il ramène pour grande part à ses processus.

Contrairement à ce qu’avance Bertrand dans son article, je suis persuadé que les choses ont avancé cette année. Pour symbole : le S Word [en] n’est plus banni : on parle de plus en plus de Social Software [en] et de Social Business [en] surtout depuis la dernière E20 conférence à Santa Clara [en].

Par ailleurs je ne suis pas du tout persuadé que les processus soient solubles tels quels dans l’entreprise 2.0 mais c’est un vaste sujet traité  dans un autre billet [en].

Cela ne veut pas dire que nous ne devons investir les yeux fermés dans des solutions de réseaux sociaux d’entreprise (RSE) sans réfléchir au retour qu’on en attend. Mais pour cela, il faut savoir quel est le problème que l’on veut résoudre [en] : là est de mon point de vue la réalité à laquelle se confronter. Il s’agit du point de départ et, accessoirement, d’un excellent test de la validité de notre discours [en].

Capturer le savoir tacite, favoriser l’innovation, contribuer à la motivation et au sentiment d’appartenance des employés, raccourcir la feedback loop des clients ou des fournisseurs, limiter le nombre de réunions inutiles et chronophages, débarrasser les employés d’outils inappropriés et inutilisables imposés par la gouvernance SI, etc. : ces problèmes ne manquent pas.

Dans cette perspective, les RSE peuvent grandement contribuer à la productivité de l’organisation et à aider tout le monde à mieux faire son travail. Là où je rejoins Bertrand est qu’il est de la responsabilité du microcosme 2.0 de se confronter à cette réalité et de proposer des méthodes de mesure et de suivi de l’impact des outils au sein de l’organisation. À ce titre, son article dédié au ROI dans le Livre Blanc Entreprise 2.0 est particulièrement éclairant.

La suspicion de l’Engagement

All organizations say routinely ‘People are our greatest asset’. Yet few practise what they preach, let alone truly believe it. (Peter Drucker)

Au cœur de la pensée Entreprise 2.0 se trouve l’employé et la notion d’engagement (dans le sens d’implication).

Cette notion a beaucoup de mal à passer dans notre culture où l’entreprise est diabolisée et le travail est vécu comme une corvée que l’on subit. Du coup on comprend mieux les réticences de Vincent ou Bertrand à adhérer à cette partie du logiciel 2.0 telle que décrite par Ethan Yarbrough sur le blog AIIM [en] par exemple.

Pourtant, il s’agit d’un élément essentiel. Towers Perrin a publié les résultats d’un questionnaire mondial [en] duquel il ressort que seulement 20% des employés sont impliqués dans leur travail et que, sur trois ans, l’évolution moyenne de la marge opérationnelle entre une entreprise avec des employés plutôt impliqués est de +3,74% lorsque celle d’une entreprise avec des employés moins impliqués est de -2%.

En d’autres termes : libérez vos employés [en] et les résultats de l’entreprise suivront.

Un exemple éclatant : HCL [en] (SSII) indienne de Vineet Nayar [en] qui révolutionne la culture de l’entreprise à son arrivée en 2005 avec un motto répété inlassablement : “Employee first, customers second.” La raison : en s’accomplissant l’employé offre toute son potentiel et crée de la valeur pour le client. Pour des résultats remarquables et une entreprise élue meilleure employeur en Asie par Hewitt Associates.

Talk about the revolution

Les réseaux sociaux proposent une révolution sociale bien plus que technologique. Comme le dit Clay Shirky [en] :

Revolution doesn’t happen when society adopt new technologies, it happens when society adopts new behaviors.

Il ne s’agit pas d’utopie : cela c’est produit sur Internet bien sûr mais aussi dans de nombreuses entreprises [en] : Whole Foods Market [en], WLGore [en], Google, FAVI [en] ou Lippi (en France), HCL de Vineet Nayar (en Inde) [en] ou Semco de Ricardo Semler (Brésil) [en].

L’objectif n’est pas de transformer l’entreprise en un monde de Bisounours un peu tarte mais de donner aux travailleurs de la connaissance des outils et des méthodes de travail qui leur permettent de mieux travailler et de faire davantage sens de leur contribution pour être plus productifs individuellement et collectivement. Des employés plus concernés dans une organisation qui fonctionne de façon plus fluide pour mieux servir ses clients et générer plus de revenus : the end in mind de tout projet 2.0.

Billet initialement publié sur #hypertextual

Image CC Flickr Airín, _Tophee_ et Zeptonn

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http://owni.fr/2010/12/21/entreprise-2-0-la-tentation-de-l%e2%80%99utopie/feed/ 22
Qui sont les digital natives? http://owni.fr/2010/11/14/qui-sont-les-digital-natives/ http://owni.fr/2010/11/14/qui-sont-les-digital-natives/#comments Sun, 14 Nov 2010 15:29:59 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=33866 Probablement dans le but de se rassurer, on parle souvent d’usages lorsque l’on évoque l’avènement du web. A mon sens, il s’agit d’un understatement important qui entretient une certaine incompréhension. La relation au web a développé une culture forte avec ses principes, des valeurs et des habitudes.

En cela, les Digital Natives disposent d’un ADN tout autant révolutionnaire, bien que moins spectaculaire, que la génération des baby-boomers.

Cette Génération Y présente des caractéristiques culturelles qui causent d’épineux problèmes au sein de l’entreprise en particulier au niveau de la propagan… erm… communication interne.

Nous avons ici à faire avec des travailleurs de la connaissance, post-idéologiques,  sur-éduqués, sur-informés et irrévocablement connectés. Bref : une génération à qui il va être difficile de faire ingurgiter le corporate BS.

Quelques pistes pour faciliter cette communication…

Travailleurs de la connaissance

Même si le terme de Peter Drucker date de 1959, les Digital Natives semblent être la première génération à l’avoir assimilé de manière aussi naturelle et radicale.

La conséquence, que n’a pas omis de préciser Drucker, et qui est complètement intégrée dans la psyché des Digital Natives : si comme le disait fort justement Marx les ouvriers sont aliénés dans leur relation au patronat parce qu’ils ne possèdent pas les outils de production, il n’en n’est pas du tout de même pour les travailleurs de la connaissance : leur outil de production est leur savoir.

Drucker continue en expliquant que c’est la raison pour laquelle l’entreprise ou l’organisation a bien plus besoin du travailleur de la connaissance que l’inverse. Il s’agit là d’un changement radical dans la nature de la relation entreprise-employé.

Solution pour la communication d’entreprise : éliminer le postulat de subordination dans la relation avec l’employé pour instaurer une relation d’échanges réciproques et équilibrés.

Post-idéologique

S’il est bien un point sur lequel la génération connectée diffère des précédentes c’est celui-là.

La génération des boomers restera celle de l’adolescence de l’homme moderne. Une génération dont on se rappellera plus pour avoir fait les idiots tous nus à consommer des substances illégales en proclamant du Debord de San Francisco à Paris que pour ce qu’ils sont devenus (publicitaires, patrons de média etc … bref : la tête de pont de la société du spectacle).

Par bonté d’âme on se gardera de porter un jugement sur le legs de la Génération suivante (GenX), dont je suis et qui n’aura su se dépêtrer de l’ombre envahissante de la précédente.

Bref : tout ce joli et salvateur bazar aux fondements très à gauche a donné naissance d’une part à la contre-culture, avec les conséquences que l’on sait. De l’autre, en réaction (ou dans la continuité cela dépend des perspectives) cela a nourri une idéologie libérale particulièrement aiguisée.

Les Digital Natives quittaient l’enfance lorsque le mur de Berlin est tombé et entraient dans l’age adulte lorsque les tours jumelles se sont effondrées. Ils assistent donc en direct, en l’espace de 10 ans aux fins du communisme et de la croyance démocratie + économie de marché = paix universelle.

Durant leur études ils voient la Chine Maoïste devenir l’allié objectif de l’oncle Sam dans une mondialisation effrénée. Enfin ils entrent sur le marché du travail avec la crise des Subprimes et assistent en direct là encore, au désaveu de l’oracle des marchés, stupéfait et incrédule devant l’insatiable avidité de financiers livrés à eux-même.

Voilà donc une génération qui est génétiquement immunisée contre les belles paroles, les grand élans lyriques et les vues de l’esprit.

En conséquence, les Digital Natives sont post-idéologiques et foncièrement pragmatiques. Ils ne croient qu’en ce qui marche. Et la seule réalisation remarquable et indiscutable que cette génération a vu en direct se mettre en place et grandir avec elle est le Web.  God Bless http.

Solution pour la communication d’entreprise : intégrité : accorder ses paroles avec ses actes. Et échanger des valeurs pompeuses contre des principes clairs et faciles à mettre en œuvre.

Sur-éduquée

Nous inspirons le monde, nous expirons du sens (Salman Rushdie)

Si l’on regarde les courbes d’évolution des diplômes dans l’OCDE sur les 20 dernières années on constate que le nombre des diplômés du supérieur a doublé.

Cela a deux conséquences directes. D’une part une évolution permanente du savoir. En effet, plus de personnes formées et diplômées travaillent sur des domaines de connaissance donnés, et plus le territoire couvert par le savoir augmente. C’est mécanique. Ce qui implique le besoin de se former en permanence : il s’agit là d’une demande forte de la génération Y.

La seconde est que la clef de la survie dans le monde connecté réside dans la capacité à faire sens de l’océan d’information dont on dispose : dans la capacité de synthèse plutôt que dans l’appropriation d’un savoir.

Ce qui, a bien y réfléchir nous rapproche de l’étymologie du mot intelligence :

le latin intelligere : inter (entre) et legere (cueillir, choisir, lire). Qui dit intelligence implique la notion de choix (faculté d’analyse et de sélection). Il faut savoir trier, mais aussi rassembler.

Ainsi, si l’expertise (la maîtrise intégrale d’une partie de savoir) est le gage de la job security ou de la reconnaissance pour la Génération X, il ne s’agit là que d’efforts inutiles pour les Digital Natives. Le savoir est bien trop vaste et évolue bien trop vite  pour se l’approprier. Ce qui importe est de savoir y naviguer pour faire du sens. On retrouve ici une notion clef évoquée par David Weinberger dans son essai The Hyperlinked Organisation du Cluetrain Manifesto.

Solution pour la communication d’entreprise : Axer sa stratégie de communication sur une aptitude à gérer le changement plutôt que sur des grands plans quinquennaux dont tout le monde sait (et les GenY le diront ouvertement) qu’ils ne servent à rien si ce n’est rassurer le management.

Connectée et sur-informée

Digital Natives = indigènes du numérique. Qui ont grandi dans un environnement perpétuellement connectés au contact du plus formidable outil de partage de la connaissance qu’ait connu l’humanité : le web.

Et cet outil ils le maitrisent mieux que quiconque. Ils ont ainsi pris la sale manie de vérifier l’authenticité des informations qui leur sont communiquées.

Si pour la génération aux commandes (X, Baby boomers) la vérité réside au cœur de l’entreprise (intranet, mails officiels, radio moquette) et doit être contrôlée, pour cette génération la vérité est sur le web : immensément plus vaste et est bien évidemment incontrôlable.

Dans l’introduction de son livre sur le sujet, Andrew “M. Entreprise 2.0″ McAfee raconte cette anecdote au sujet de Wikipedia. Grandement dubitatif quant à notre propension à collaborer pacifiquement pour construire le savoir, McAfee est allé voir la définition du mot Skinhead, terrain propice s’il en est à l’application de la Godwin’s Law. Et là il a trouvé la description la plus objective, documentée et dépassionnée du mot et de ses connotations politiques, musicales, culturelles, etc …

Habituée à Wikipedia cette génération a développé un goût immodéré pour la vérité objective et, au delà, pour la conversation et les échanges qui y amènent.

Solution pour la communication d’entreprise : dire les choses telles qu’elles sont et affronter la réalité telle qu’elle est, même si cela doit heurter des susceptibilités.

Confiants, assertifs et malheureux

On ne peut parler de cette génération sans évoquer le remarquable essai de Jean Twenge : Generation Me qui explique Why today’s young americans are more confident, assertive, entitled and more miserable than ever.

Il s’agit là, en particulier aux États-Unis, d’une conséquence de l’importance accordée à l’estime de soi dans l’éducation, importance qui a provoqué de terribles dégâts. Nous nous retrouvons ainsi avec une génération à qui on a expliqué durant toute leur éducation qu’ils pourront faire ce qu’ils souhaitent de leur carrière professionnelle. Le choc lors de l’arrivée en entreprise est d’autant plus rude.

Article publié initialement sur #Hypertextual sous le titre: “Digital Natives vs. Corporate B.S”

Illustrations FlickR CC : Dolinski, Lizette Greco, Stéfan, digitalpimp

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http://owni.fr/2010/11/14/qui-sont-les-digital-natives/feed/ 37
Net-culture: quelle alternative au modèle californien? http://owni.fr/2010/09/30/net-culture-quelle-alternative-au-modele-californien/ http://owni.fr/2010/09/30/net-culture-quelle-alternative-au-modele-californien/#comments Thu, 30 Sep 2010 13:05:14 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=29947

L’Amérique a colonisé nos inconscients

Wim Wenders

C’est un reproche récurrent et pertinent dans les commentaires en réponse aux billets sur le manque de visibilité des intellectuels français dans la réflexion sur internet. On pointe du doigt  une vision biaisée, férocement ancrée dans une tradition culturelle anglo-saxonne.

Dans les années 80, Wim Wenders était considéré comme un des grands cinéastes européens. Le qualificatif Européen est à lire ici en tant qu’indication de non-Américain : des films contemplatifs, poétiques ne répondant pas nécessairement au diktat d’un cinéma Holywoodien à la narration tirée au cordeau.

Pourtant, tout comme la nouvelle vague dont il s’inspire, ce cinéaste reconnaît l’influence fondatrice du cinéma Holywoodien à travers la citation éblouissante qui ouvre ce billet (et des œuvres telles que le fameux Paris, Texas).

Nastasia Kinski dans "Paris Texas"

Comme Wim Wenders, je me sens profondément Européen. Et comme Wim Wenders pour la culture cinématographique, je me demande s’il existe une alternative au modèle californien pour la culture internet. (note : je ne me compare en aucun cas à lui, hein)

Formulé en d’autres termes : après avoir dominé culturellement sans partage à travers le cinéma notre représentation du monde de fin du XXème siècle, le modèle californien façonnerait-il identiquement notre manière de penser le monde interconnecté ?

Creative Ethos

Dans The Rise Of the Creative Class, ouvrage culte (non traduit en Français), Richard Florida réfléchit à ce qui pousse la classe créative (les ingénieurs, designers, informaticiens, artistes, architectes etc …) à se concentrer dans certaines villes d’Amérique du Nord au détriment d’autres.

Dans le cadre de cette réflexion, il remonte à la notion du creative ethos, cette pulsion créative qui innerve nos sociétés de la connaissance et qui est notre source de richesse.

Selon Florida, le creative ethos contemporain naît de la rencontre entre a) la culture hippie qui s’est installée à San Francisco et b) l’éthique protestante du travail (protestant work ethic). Cette jonction improbable se produit à la fin des 60’s en Californie. C’est dans cet esprit qu’apparaissent des technophiles et entrepreneurs aussi improbables tels que Steve Jobs, Paul Allen, Steve Wozniak or Gordon Moore (qui avant d’énoncer sa fameuse loi était réputé en Californie pour son inlassable action pacifiste).

Des génies hippies, chantés par des auteurs aussi radicaux que Richard Brautigan (les poèmes du recueil All watched over by machines of loving grace) et qui nulle part ailleurs qu’en Californie n’auraient été pris au sérieux.

Ce Creative Ethos fonde bien entendu la culture internet, avec les valeurs décrites dans le billet consacré au sujet : méritocratie, esprit d’entreprise, pragmatisme, simplicité, post-idéologie et foi en l’avenir.

Si ces valeurs s’étaient avérées incompatibles avec la technologie, nulle doute que le darwinisme implacable du réseau s’en serait délesté. En conclusion : ces valeurs sont là pour rester.

Gay, créatif et technologique

La théorie de l’essai de Florida, inspirée des travaux de Robert Lucas (prix nobel) et Jane Jabos : c’est le capital humain des classes créatives qui enrichit les régions, ce ne sont pas les entreprises qui s’y installent : ces dernières ne font que suivre les classes créatives. Et celles-ci choisissent leur destination en fonction de 3 paramètres : les talents (le taux de personnes éduquées), les technologies (dynamisme de la région dans les industries technologiques) et la tolérance (indiquée par le nombre d’artistes, de musiciens et la taille de la communauté gay).

Cet ouvrage insiste ainsi sur la dimension multi-culturelle des régions dynamiques, établissant une relation directe entre le dynamisme de la scène musicale ou de la communauté gay et la richesse générée par les entreprises dans ces mêmes régions.

Eloge de la trans-disciplinarité

On arrive ici à un point essentiel de l’industrie du monde connecté : les multiples dimensions culturelles de ses leaders.

Des CEO qui jouent du rock (comme dans la convention d’Austin racontée par Florida), des dirigeantes d’entreprise éperdues de Littérature, des diplômés de business school qui créent des frameworks web open source et qui disent f**k dans leurs conférences à Stanford, des informaticiens fascinés de calligraphie, des hackeuses qui citent Hannah Arendt

Il s’agit là d’une dimension multi-culturelle dans laquelle je me retrouve complètement.

L’impossibilité du creative-ethos.fr

Voilà un autre point d’achoppement avec la culture française où il y a bien peu de fluidité socio-culturelle. Chez-nous.fr, chacun reste à sa place, ce brassage n’a quasiment pas lieu. Le creative ethos, cette jonction à l’intersection de la culture pop et de la culture d’entreprise est tout simplement un territoire fantôme et inhabité.

Un élément remarquable noté par Florida : aux US, la vaste majorité des businessmen des nouvelles technologies sont liberals (i.e progressistes et démocrates). Ce sont des personnes foncièrement tolérantes, ayant complètement intégré la culture populaire et s’en servant à merveille. Ce qui donne une épaisseur passionnante à leur réflexion sur le net et aux services et produits qu’ils proposent.

A l’opposé, en France les businessmen sont très largement conservateurs et n’ont aucune culture pop : ils s’en contrefichent et n’y accordent absolument aucune importance. Nos services et produits high-tech sont dépourvus de creative ethos : ils sont dépourvus d’âme. Leurs blogs sont à pleurer : y passer après avoir lu celui de 37Signals c’est un peu comme regarder Navarro après avoir vu 24 Heures Chrono.

Les artistes (musiciens, cinéastes, etc …), quant à eux, sont chez nous violemment progressistes, volontiers pompeux et engagés (Malheur à l’oeuvre qui défend des causes - Nabokov), arc-boutés sur la préservation de l’état comme incarnation de l’égalité républicaine, et ont du mal à résister à la diabolisation systématique de l’entreprise.

Du coup, un évènement tel que SxSW est complètement impensable en France. Une semaine où se superposent à Austin, Texas un festival de rock, de cinéma et de technologies interactives, cela ne peut simplement pas exister car il s’agirait de faire cohabiter des mondes ennemis. Le Creative Ethos ne passera pas chez nous.

Une alternative française ?

Qu’aurions nous donc à proposer comme alternative  au modèle Californien ?

Un besoin de prendre du recul et prendre son temps avant de proposer une réflexion comme le propose Frédéric Beck dans son très bon billet ?

Je n’y crois pas une seconde. Nous sommes entrés dans l’ère de l’immédiateté. On peut s’en désoler, proposer un jugement et prétendre que c’est mal, se mettre debout sur les freins, cela ne change rien à l’affaire. C’est ainsi. C’est la métaphore du Kayak de Clay Shirky :

Social tools can’t be controlled. They’re just like kayaks : we are being pushed rapidly down a route largely determined by the technological environment. We have a small degree of control and that control does not extend to being able to reverse or even radically alter the direction we’re moving in.

Les outils sociaux ne peuvent pas être contrôlés. Ils sont comme des kayaks : nous sommes en train d’être entraînés rapidement sur une route largement déterminée par l’environnement technologique. Nous n’avons que de petites possibilités de contrôle et cette marge de manœuvre ne peut pas nous permettre de repartir en arrière ni même de changer radicalement la direction dans laquelle nous avançons.

Nous sommes entrés dans le temps court. La réflexion doit s’adapter. Nous ne pouvons pas demander au monde de s’arrêter, demander aux bloggers d’arrêter de publier des billets ou au tweeters de poster des liens, tout cela pour prendre le temps de la réflexion.

Si la réflexion culturelle française était incontournable au temps long des livres, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Quelle est notre réponse à cette disgrâce ?

Internet et l’Histoire

Après le cinéma, la Californie et à travers elle une certaine Amérique (libérale, tolérante, ouverte et créative) a formaté la culture internet à son image et avec ses valeurs.

Lorsque dans plusieurs siècles on se retournera sur cette époque charnière, équivalente dans sa dimension innovante et créative à la Renaissance, la civilisation dont on se rappellera sera celle-ci.

La composante anglo-saxonne de ma position sur le sujet n’est donc pas un biais, mais plutôt un alignement sur cette réalité : l’Amérique a colonisé notre conscience collective : le réseau.

Crédits photos cc Hugh MacLeaod et FlickR The City Project, Randy Son of Robert, SWANclothing.

Article initialement publié sur #hypertextual.

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Réseaux sociaux dans l’entreprise.fr: ||les 5 obstacles culturels http://owni.fr/2010/09/26/reseaux-sociaux-dans-l%e2%80%99entreprise-fr-les-5-obstacles-culturels/ http://owni.fr/2010/09/26/reseaux-sociaux-dans-l%e2%80%99entreprise-fr-les-5-obstacles-culturels/#comments Sun, 26 Sep 2010 12:19:18 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=28822

Il s’agit d’un questionnement qu’avait déjà soumis Bertand Duperrin depuis son blog dans la préparation de l’enterprise 2.0 summit : quelles sont les spécificités de l’entreprise française qu’il convient de prendre en compte dans la mise en œuvre de réseaux sociaux dans l’entreprise.fr ?

Comme le rappelle le slide illustrant ce billet, cette approche n’implique pas seulement des outils collaboratifs mais aussi un changement profond dans notre relation au travail au sein d’une organisation.

La réponse aux spécificités françaises tient en 5 obstacles culturels majeurs. Bien sûr ces obstacles existent aussi dans d’autres cultures mais pas de manière aussi particulièrement saillante que chez nous et ce pour plusieurs raisons, développées ci après.

1 – Un rapport passionnel au travail

Le séminal Capitalisme d’héritiers de Thomas Philippon (professeur d’économie à l’université de New York et l’école d’économie de Paris), rappelle que de tous les pays de l’OCDE, la France est celui pour lequel l’activité professionnelle joue le rôle le plus important dans la vie de ses citoyens. (étude du World Value Survey)

Cela a un écheveau de conséquences évidentes :

  • l’importance du statut professionnel dans la construction de l’identité.
  • l’importance accordée à la hiérarchie non pour ce qu’elle est (un système d’organisation du travail collaboratif) mais comme révélateur de réussite sociale, ce qui a des effets pervers et politiques.
  • la terreur à l’idée de perdre son emploi, terreur évoquée non seulement par l’essai de Philippon mais aussi par celui, non moins remarquable de Gérard Grunberg. Si mon travail est ce qui me caractérise le mieux dans mon identité, le perdre correspond à un perte d’identité. Cela implique une réticence maladive à partager l’information dans le but de se rendre indispensable. De plus il s’agit là d’un frein à l’évolution latérale au sein de l’organisation et, partant, d’un accélérateur de sclérose.
  • L’incapacité à différencier son travail de ce qu’on est. Ainsi ce rapport affectif au travail rend très difficile la critique et crée bon nombre de conflits. Dans le domaine de l’informatique, les Anglo-saxons ont créé le manifeste de l’egoless programming pour sensibiliser sur ce point.
  • l’incapacité à reconnaitre ses erreurs, aptitude pourtant essentielle dans la fluidification des rapports professionnels. Et dans l’enrichissement personnel car cette incapacité est le symptôme d’une réelle difficulté à se remettre en cause.

Problème pour l’entreprise 2.0 :

  • Accepter une structure à plat, où l’importance accordée à l’interlocuteur n’est plus proportionnelle à l’intitulé du poste mais à l’autorité acquise avec la contribution objective.
  • Accepter la notion d’émergence, le fait qu’il n’y a pas un grand architecte qui définira en amont ce que sera la topologie de diffusion et échanges des informations.
  • Accepter qu’on ne passera pas des heures à définir des processus pour rassurer le management. Mais qu’au contraire il y a aura une organisation agile qui ne sera jugée qu’à l’aune de sa productivité.
  • Accepter pour la hiérarchie, une communication et des préconisations qui viennent des forces productives (i.e bottom-up).
  • Convaincre de l’importance primordiale de partager l’information lorsque c’est identifié par certains employés comme l’assurance de conserver leur emploi et par des managers comme un instrument de contrôle.

2 – Une culture de la relation hiérarchique conflictuelle

Encore une fois, l’ouvrage de Thomas Philippon nous indique une piste passionnante et cite les travaux du sociologue britannique Colin Crouch dressant un comparatif saisissant entre 1) les pays où sont entretenus les relations hiérarchiques les plus conflictuelles dans le travail et 2) les pays pour lesquels les syndicats ont été autorisés le plus tard. Ainsi :

Dans l’échantillon des 15 pays étudiés par Crouch, la classification en fonction de de l’attitude des États vis-à-vis du développement syndical entre 1870 et 1900 explique 53% de la variance des opinions des managers sur les relations sociales dans l’entreprise en 1999. Les pays où le développement syndical au XIXe a été faible et tardif sont précisément ceux qui souffrent de relations sociales conflictuelles. Réciproquement les pays où les syndicats se sont implantés rapidement sont ceux qui aujourd’hui ont des relations sociales constructives.

Ainsi les pays latins d’Europe dont la France où les syndicats ont vu leur levée d’interdiction la plus tardive, sont aussi les pays pour lesquels on trouve les relations hiérarchiques les plus conflictuelles.

Problèmes pour l’entreprise 2.0 :

  • Difficulté de mettre en œuvre une culture de l’ouverture, du partage et de la transparence dans un climat conflictuel.
  • Difficulté à concevoir un rapport pacifique et constructif à travers les niveaux hiérarchiques.
  • Possibilité pour les employés d’identifier ces plateformes comme des outils de surveillance sur l’activité.
  • Barrière à l’adoption et réticence au changement.

3 – La société de défiance

Il s’agit d’un ouvrage des universitaires Yann Algan (enseignant à Sciences-Po) et Pierre Cahuc (à Polytechnique). Hypertextual en a déjà parlé ici. Cet ouvrage explique comment la France est un pays où culturellement se perpétue une défiance permanente, pour des conséquences inquiétantes.

Baseline : En France bien plus que dans n’importe quel autre pays riche, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics et du marché. Cette défiance va de pair avec un incivisme bien plus ancré dans les mentalités et constaté dans les actes.

Accessoirement la confiance est avant tout un élément essentiel du succès d’entreprises commerciales comme le rappelle Kenneth Arrow, enseignant à Stanford et prix Nobel d’économie 1972.

« Virtuellement tout échange commercial contient une part de confiance, comme toute transaction qui s’inscrit dans la durée. On peut vraisemblablement soutenir qu’une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens. »

Problème pour l’entreprise 2.0 :

  • Difficulté de mettre en œuvre une culture de l’ouverture, du partage et de la transparence dans un climat de défiance perpétuelle.
  • Faire comprendre que la confiance au sein de l’entreprise peut exister et que cela aboutit à une relation gagnant-gagnant.
  • Faire entendre aux DSI, pour citer le totem Cluetrain Manifesto (la thèse 41), que la religion de sécurité empêche moins des fuites vers la concurrence qu’une plus grande et plus fertile communication au sein des employés et entre les employés et le marché.

4 – La diabolisation de l’entreprise

Il s’agit là encore d’un trait culturel prononcé et caractéristique de notre société : l’entreprise et l’entrepreunariat sont diabolisés bien plus que dans n’importe quel autre pays riche. Les exemples sont légions. Hypertextual a adressé cette caractéristique à plusieurs reprises.

Il y a de nombreux exemples, mais nous n’en conserverons qu’un : le remplacement en France (et en France uniquement) de la compétence “esprit d’entreprise” par “autonomie” dans le socle commun des connaissances et compétences agréé par les pays de la communauté européenne.

Au-delà du système éducatif il persiste une immanence culturelle dans la défiance de l’entreprise et son extension, la mondialisation. Comme le dit le philosophe Gilles Lipovetsky dans la Société de déception :

Dans notre modèle colbertiste-jacobin-interventionniste, l’économie de marché, la culture du profit, n’ont jamais été acceptées. La puissance publique est reconnue comme l’appareil suprême de l’unité et de la cohésion sociale, l’instance productrice du bien public et du lien social. Or la mondialisation heurte de front le modèle de l’état producteur de la nation. Les Français vivent la globalisation économique comme un violence faite contre eux, véritable menace de disparition de leur identité nationale.

De manière plus prosaïque cette défiance est représentée tous les soirs à 20 heures dans les guignols de l’info, ce depuis vingt ans : une vision caricaturale de la vie d’entreprise et de la mondialisation avec leurs représentants de la World Company.

On trouve aussi régulièrement des œuvres de l’industrie artistique telles que le film La Question Humaine, pour prendre un exemple récent, où est établit le plus simplement du monde une analogie entre l’entreprise et la Shoah.

Un peu comme la défiance et l’incivisme, il s’agit là de conséquences directes de la main-mise particulièrement prégnante dans le pays des Derrida, Foucault et Baudrillard de la pensée contre-culturelle sur notre appréhension de la société de marché : cet aspect est particulièrement bien montré par les universitaires canadiens Joe Heath et Andrew Potter dans leur remarquable ouvrage La Révolte consommée.

Problème pour l’entreprise 2.0

  • Faire comprendre à une population éduquée dans une culture de diabolisation du marché que non, tout le système n’est pas vicié et qu’il existe des entreprises en France comme ailleurs où les employés sont ravis de leur emploi, de la place qui leur est faite et de leur capacité à s’épanouir. Et qu’une approche ouverte et collaborative peut servir de levier pour y parvenir.

5 – La réticence à partager l’information chez les élites

Pour ce dernier point, ma perception est plus diffuse et ne dispose pas de l’assise théorique des précédentes. Il s’agit plus d’un ressenti discuté ici . Elle renvoie à cette description de Jon Husband dans son essai Wirearchy qui rappelle comment depuis toujours dans les société humaines l’exercice du pouvoir est passé par le contrôle de l’information.

La France est une société qui a une tradition de formation des élites avec les grandes écoles érigées sous l’ère napoléonienne. Ainsi avons-nous une population qui est passée par des sacrifices et des efforts importants pour accéder à des statuts importants dans la République, statut leur octroyant si ce n’est l’exclusivité tout au moins la primauté à l’accès à la  connaissance et à l’information.

Cela nous mène des journalistes aux scientifiques ou plus généralement en ce qui nous concerne ici, les diplômés des grandes écoles qui forment l’essentiel des dirigeants d’entreprise.

Problème pour l’entreprise 2.0

  • Le manque de disposition de ces élites à accorder, si ce n’est du crédit, tout au moins du temps d’écoute à des individus qui n’en font pas partie. Et qui grâce à Internet ont la possibilité de développer des compétences très pointues dans des domaines particuliers.
  • Le discrédit systématique de sources de connaissance “non officielles” – eg Wikipedia, etc … qui  sont, de plus, perçues comme une menace tendant à déposséder l’élite d’un privilège atavique de primauté d’accès à l’information
  • Une culture de l’élitisme qui se dresse en obstacle à la mise en place de la convivialité comme l’évoque Valery Giscard d’Estaing dans cet entretien avec François Mitterand de décembre 1995, entretien tiré de son ouvrage Le Pouvoir et la vie :

V. Giscard D’Estaing : Que regrettez vous de n’être parvenu à changer ? F. Mitterand : L’entreprise. Je n’ai pas réussi à la changer. Les rapports restent beaucoup trop hiérarchiques, distants. Les dirigeants méprisent leur personnel, il n’y a pas de convivialité.

Que faire ?

Comment surmonter ces obstacles dans la mise en œuvre de réseaux sociaux au sein de l’entreprise.fr ? Je ne sais pas trop mais une chose est sûre : la pédagogie ne peut pas faire de mal.  Sensibiliser les cadres et employés de l’entreprise au fait que ces éléments ne sont pas co-substanciels à l’entreprise mais plutôt aux particularismes de l’entreprise.fr. Puis montrer que l’on peut vaincre le fatalisme par une mise en œuvre graduelle, jonchée de petites victoires.

Je demeure toutefois désespérément optimiste, et ce pour une raison : le logiciel libre. Quel meilleur exemple de travail collaboratif sans hiérarchie, mû par la passion, de qualité remarquable et reconnue ? Dans un des pays où la culture de l’open source est la plus développée, que ce soit au niveau de la contribution ou de l’utilisation, ces 5 obstacles rejoignent ces  paradoxes qui donnent à notre pays ce charme unique, ambigu (et épuisant).

Billet initialement publié sur Hypertextual

Image CC Flickr Emmanuel Frezzotti  et Anna Gay

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Intellectuels.fr vs culture Internet: l’autre fracture numérique http://owni.fr/2010/09/11/intellectuels-fr-vs-culture-internet-l%e2%80%99autre-fracture-numerique/ http://owni.fr/2010/09/11/intellectuels-fr-vs-culture-internet-l%e2%80%99autre-fracture-numerique/#comments Sat, 11 Sep 2010 15:44:09 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=27835

Alain Minc est perdu sur le ouèbe, du coup il n'y met pas les pieds.

Deuxième partie de cette réflexion sur la relation plus que fraîche qu’entretiennent nos élites intellectuelles avec les réseaux sociaux et la culture 2.0 en général.

La première partie passe en revue les lignes directrices de la pensée hexagonale sur le sujet, comment celle-ci s’avère peu pertinente et ne jouit d’aucun écho à l’extérieur de nos frontières (ouvrages références, conférences etc.). Elle décrit en outre un premier motif de rejet des intellectuels à l’égard d’Internet : la menace que ces réseaux sociaux, vecteurs de fluidité sociale, représente dans un pays où les institutions et les statuts qu’elles octroient ont une importance fondatrice.

Ce second billet, énumère quelques-uns des piliers de la culture Internet et essaye de compléter les propositions ci-dessus pour expliquer en quoi elle rebute nos élites.

Méritocratie

Une notion que l’on retrouve dans toutes les études sur le sujet. Clay Shirky parle d’une culture “brutalement méritocratique”, Manuel Castells de techno-meritocracy. Richard Florida dans Rise of the creative class ou Les Netocrates d’Alexander Bard la mentionnent aussi dans leurs ouvrages.

La culture numérique est née d’ingénieurs surdoués mais plutôt rustauds (accessoirement : n’ayant pas lu La Princesse de Clèves, ils sont l’incarnation parfaite de cette middle class méprisée par nos intellectuels). La qualité d’un individu n’y est pas fonction de ses diplômes, de la marque de ses vêtements, du rang social de ses parents ou encore de son code postal. Cette qualité est fonction de sa contribution. Principe éminemment druckerien au demeurant.

Dans ce nouveau système, une bloggeuse de 14 ans venant de nulle part peut devenir en quelques mois une personnalité incontournable du monde de la mode. Un succès précoce équivalent chez nous pourrait être la benjamine de la rentrée littéraire 2010 mais en y regardant de plus près : son père est le prix Interallié de 2008.

Cette méritocratie passe difficilement dans une culture profondément institutionnalisée ou le statut inoxydable octroyé par la vénérable école républicaine, revêt toujours une importance primordiale. Les places et les chances de François Dubet souligne ce particularisme français.

Ces statuts comportent des avantages implicites : des poly-techniciens peuvent ainsi évincer un ingénieur sous prétexte qu’il leur fait de l’ombre avec ses idées innovantes ou encore la moitié des places de Polytechnique est réservée aux enfants d’enseignants. Dans une culture où l’ultra-centralisation des pouvoirs invite au népotisme (cf Julie Bramly) et où des normaliens s’élèvent contre ces médias qui ne leur garantit plus la primauté au savoir, ce principe de méritocratie est plutôt mal perçu.

Esprit d’entreprise

(dans sa définition la plus générique : ce que l’on met à exécution)

Dans cette culture, seul compte ce qui fonctionne et apporte de la valeur. Les belles idées sont vaines tant qu’elles ne sont pas mises en œuvre, qu’elles ne fonctionnent pas, ou ne sont pas utilisées : elles demeurent insignifiantes tant qu’elles ne changent pas le monde.

Dans cette apologie de l’action permanente, réside une forte culture d’entreprise. L’innovation au cœur du développement d’internet dans la Silicon Valley illustre bien cette dimension essentielle : elle est le fruit de l’étroite collaboration de l’université (principalement Stanford) avec les entreprises et start-ups de la Valley.

Durant ces quinze dernières années, de nouveaux métiers sont apparus. Des individus ont pu acquérir grâce au système méritocratique une réputation florissante. Cela leur a ouvert de nouvelles opportunités et permis, à un coût très bas et avec très peu de risques, de prendre en main leur destin professionnel.

Comme le rappelle l’excellent Serge Soudoplatoff, les barrières d’entrée sur le marché Internet sont ridiculement basses. La tentation est grande d’entreprendre et de monter un business florissant. Sans parler de Myspace ou de Facebook, de petites entreprises de vingt personnes peuvent ainsi mettre en œuvre des business de plusieurs millions de dollars et être classées dans le top 10 des entreprises informatiques par les SMB américaines.

Dans l’unique pays européen à avoir remplacé la compétence “esprit d’entreprise” par “autonomie et initiative” dans le socle commun des connaissances et compétences agréé par les pays de la communauté européenne, cet aspect saillant de la culture Internet est particulièrement rédhibitoire.

Simplicité

Simplicity is the shortest path to a solution : make the simplest thing that could possibly work (Ward Cunnigham – l’inventeur du Wiki)

Sur Internet il y a des milliards de page web. Statistiquement, qu’un internaute passe du temps sur la vôtre (site professionnel, blog, Myspace, application, etc.) relève du miracle. Aussi l’économie de l’immatériel est-elle une économie de l’attention où le producteur est redevable à l’internaute de l’attention qu’il lui prête.

Pour conserver l’attention de ces visiteurs, le contenu publié doit être simple et pratique : il doit apporter quelque chose à l’internaute. L’effort est donc requis au niveau du rédacteur pour être le plus clair possible. Le lecteur a mille autres sites/blogs à surfer plutôt que se casser à la tête à chercher à comprendre ce que l’auteur a voulu signifier/réaliser. En conclusion : dans le système de communication des outils sociaux, le récepteur est roi.

Cette simplicité est considérée comme une insulte à l’intelligence d’intellectuels qui sanctifient l’obscurité comme le remarque Benjamin Pelletier, ou qui, pour citer Michel Onfray

ont cette approche institutionnelle, universitaire de la pratique de la philosophie : il y a eu une pratique de l’intimidation langagière. (…) Un langage pour intimider (…)  Bourdieu l’a bien montré dans un livre qui s’appelle Ce que parler veut dire : le langage philosophique peut-être un langage intimidant, un langage de classe, un langage qui classe : un langage de la distinction. (…)

Forts de leur statut institutionnel, nos intellectuels ont été habitués à une audience soumise, intimidée par le langage et le ratio des 20% incompréhensibles (Bourdieu). L’attention portée à leurs propos est un dû.

En conclusion : dans le système de communication auquel ils sont habitués, l’émetteur est roi. C’est au récepteur de faire l’effort de compréhension. Un présupposé inacceptable dans la culture Internet.

Global english

Un point qui n’est pas des moindres : la culture Internet qui nourrit les réseaux sociaux est anglo-saxonne et sa langue est le global english, langue impure s’il en est.

Dès lors le territoire d’échange devient incommode pour nos intellectuels : au foot on dirait qu’ils jouent à l’extérieur (point remonté fort justement par Olivier Le Deuff). Il s’agit d’un contexte étranger, non maitrisé où nos intellectuels sont dépourvus des repères qu’ils maitrisent totalement dans la culture française.

L’anglais présente en outre cette formidable aptitude à la plasticité qui invite au néologisme. Un exemple parmi les milliers du vocabulaire Internet : la notion merveilleuse de digital natives/digital immigrants inventée par Marc Prensky. En creux, une preuve de l’absence de réflexion pratique dans l’Hexagone sur ces nouveaux outils et usages : l’absence de dénomination aussi évidente dans notre langue.

Dans global english on retrouve  la notion de “globalisée”, vécue comme une agression en France où cette culture globale expose la nôtre à la comparaison. Problématique formulée avec éloquence par Gérard Grunberg dans Sortir du pessimisme social :

Si nous voyons dans la mondialisation un phénomène de dépossession ce n’est pas parce que celle-ci est inéluctable mais parce que nous ne parvenons pas à nous repenser politiquement (…) la mondialisation agit comme un formidable révélateur des forces et faiblesses des sociétés (…) elle exerce une fonction de dévoilement de soi face aux autres.

Post-idéologique

Les idéologies ont été inventées pour que celui qui ne pense pas puisse donner son opinion (Nicolas Gomez Davila).

Dans la monde  ultra-pragmatique du Net où seul ce qui marche a de la valeur, la culture est résolument post-idéologique.

Comme déjà discuté par hypertextual dans les principes caractérisant les digital natives, génération imprégnée de cette culture, la culture Internet est irrévocablement pragmatique et post-idéologique. La raison :

Les évènements des vingt dernières années -(mur de Berlin, Twin Towers, Chine et US construisant le monde globalisé, crise des subprimes …) ont immunisé les digital natives contre les belles paroles, les grand élans lyriques et les vues de l’esprit. La seule réalisation remarquable et indiscutable que cette génération a vu en direct se mettre en place et grandir avec elle est le web.

Il est d’ailleurs significatif que deux des blogs les plus visités de la recherche française (Affordance d’Olivier Ertzscheid et l’excellent Recherche en histoire visuelle d’André Gunthert) soient à ce point ouvertement orientés politiquement.

Croyance en l’avenir

Au-delà du souhait de fortune rapide, le désir qui sous-tend les actions d’un grand nombre des contributeurs historiques d’Internet et des réseaux sociaux, c’est cette volonté ingénue et authentique de changer le monde et “to make the world a better place”. Le pourcentage d’entrepreneurs qui sont revenus aux affaires après être partis six mois savourer leur retraite de millionnaire est considérable. Il s’agit d’un but qui revient inlassablement dans toutes les conférences et éditoriaux.

Probablement le point de blocage principal, un point qui suscite une incompréhension totale dans notre société de défiance. Encore Sortir du pessimisme social de Gérard Grunberg :

Cela renvoie à une narration du monde dont l’adéquation avec le monde réel n’est pas prioritaire. Une narration de laquelle se dégage un pessimisme social dépouillé de toute solution sinon celle d’une résistance au changement. (…) La pensée réparatrice se construit fortement au détriment de la pensée créatrice et donc anticipatrice. (…) Être de gauche aujourd’hui c’est être pessimiste car l’optimisme social est implicitement identifié à l’adversaire, aux représentants des couches sociales qui tireraient avantage de l’ordre à venir.

(note : les universitaires et intellectuels français sont souvent, et ouvertement, de gauche – cf. Olivier Ertzscheid et André Gunthert ci-dessus).

L’autre fracture numérique

Si nos institutions structurent un socle social remarquable que le monde nous envie, elles présentent aussi un nombre d’inconvénients importants. Corporatisme, inertie, statuts et “siloïsation” sociale : des strates socio-culturelles isolées hermétiquement les unes des autres. Le mélange des cultures est peu courant.

La première fracture numérique est celle entre les initiés au monde numérique et ceux qui ne peuvent y accéder pour des motifs matériels : il s’agit d’une fracture subie.

La seconde est celle, tout aussi profonde, entre la culture internet et les intellectuels : une fracture sciemment entretenue par ces derniers.

Conséquence de ces silos socio-culturels elle s’avère dommageable au 21e siècle, dans une société de la connaissance où la richesse est générée par l’innovation et la créativité. Hors, ces innovations et créativité ne peuvent survenir que grâce aux mélanges des compétences, savoirs et culture.

Il est de la responsabilité des intellectuels d’aller au-delà du rejet pour s’immerger enfin dans cette culture numérique pour l’enrichir, lui donner du sens et stimuler une innovation et une créativité numérique qui s’inscrit dans la tradition culturelle hexagonale. Sans quoi, l’adoption (inéluctable) de ces outils restera sans “conscience” et, en France, le 21e siècle n’aura pas lieu.

Ce qui serait dommage, il a tant à nous apporter :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Billet initialement publié sur hypertextual, le blog de Cecil Dijoux ; image CC Flickr paulthielen OWNI remix

Premier volet Réseaux Sociaux: des intellectuels français inaudibles

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Réseaux Sociaux: des intellectuels français inaudibles http://owni.fr/2010/09/01/reseaux-sociaux-des-intellectuels-francais-inaudibles/ http://owni.fr/2010/09/01/reseaux-sociaux-des-intellectuels-francais-inaudibles/#comments Wed, 01 Sep 2010 08:32:41 +0000 Cecil Dijoux http://owni.fr/?p=26648 Je me posais cette question en lisant le remarquable Here Comes Everybody de Clay Shirky : où en sont nos intellectuels sur le sujet des réseaux sociaux ?

Quelle réflexions, recherches et pensées sont produites par nos sociologues, économistes, philosophes, politologues, éditorialistes pour donner du sens aux remarquables mutations de la société que l’avènement du web collaboratif et des réseaux sociaux provoquent ? Et, au delà, quelle est la portée de cette réflexion dans le monde connecté ?

Talk about the revolution

Parce qu’elles transforment radicalement ce qui touche à notre travail, à la culture, aux médias, à la connaissance, aux métiers créatifs, ces technologies sont jugées révolutionnaires par des auteurs passionnants aux quatre coins du monde : où sont les nôtres ?

Où sont nos Clay Shirky, Jamie Surowiecki, Chris AndersonDavid Weineberger, Christopher Locke, Alexander Bard, Andrew McAfee, danah boyd ? Pour ces essayistes mondialement reconnus, le caractère révolutionnaire d’outils permettant pour la première fois de la diffusion de masse Many to Many ne fait aucun doute : il est comparé à ceux de l’imprimerie, du téléphone ou des outils de diffusion de masse (radio, télévision) …

Si les intellectuels français ont tenu le haut du pavé de la pensée de la seconde moitié du 20ème siècle et des révolutions sociales qui l’ont traversé, pourquoi sont-il inaudibles au sujet d’internet, “symbole le plus puissant du changement social de ces dix dernières années” selon Gérard Grunberg (Sortir du pessimisme social) ?

Pour un Grunberg, un Michel Serres (qui s’enthousiasme pour l’innovation ou Wikipedia) ou un Lipovetsky (L’invention de la pilule ou d’internet a plus bouleversé nos modes de vie et fait plus changer le monde que les antiennes trostkystes) qui reconnaissent l’apport d’internet, combien de Dominique Wolton, Paul Virilio ou de Alain Gérard Slama ?

Il ne s’agit pas d’idéaliser la technologie et de l’exempter de tout défaut mais de comprendre l’absence de pensée rationnelle sur le sujet en France.

Petit état des lieux. Sans même avoir à solliciter Finkielkraut, on obtient un triste bilan.

Catastrophisme

Un des intellectuels français les plus influents sur le sujet d’internet et des technologies est Paul Virilio. Il a baptisé son ouvrage sur le sujet Cybermonde, la politique du pire et parle en toute simplicité de la “propagande faite autour d’internet” comparant les média à “l’occupation” et son activité à celle d’un “résistant“.

Le rapport de Virilio à la technologie et au progrès est principalement basé sur  la notion d’accident : Ce qui est venu avec l’engin rapide ce ne sont même plus les hasards du voyage, c’est la surprise de l’accident (Esthétique de la disparition). Notion que l’on retrouve dans son analyse très subtile d’internet dans Cybermonde :

Les nouvelles technologies véhiculent un certain type d’accident et un accident qui n’est plus local et précisément situé comme le naufrage du Titanic ou le déraillement d’un train, mais un accident général, un accident qui intéresse immédiatement la totalité du monde. Quand on nous dit que le réseau internet à une vocation mondialiste, c’est bien évident. Mais l’accident d’internet ou l’accident d’autres technologies de même nature est aussi l’émergence d’un accident total pour ne pas dire intégral.

Cet extrait figure dans l’Anti-manuel de philosophie de Michel Onfray (excellent guide au demeurant si vous souhaitez préparer le bac de philo : pédagogue et pratique) : il ne s’agit pas d’une voix isolée dans le paysage philosophique français.

Nous ne sommes pas ici dans de la pensée mais dans de la croyance, de l’idéologie. À l’absurde et dangereux fétichisme technologique du techno-utopianism d’un Georges Gilder, Virilio répond par une diabolisation. Il va falloir être pédagogue pour expliquer en quoi cette position n’est pas symétriquement absurde et dangereuse.

En se présentant en résistant, Virilio évoque plus la résistance au changement et déni du réel que de valeureux défenseurs de la patrie.

Spéculation intellectuelle

Ce qui gêne beaucoup à l’extérieur de nos frontières c’est ce ton péremptoire, cette certitude d’une annexion de la toile par “le grand méchant marché”. On retrouve cette pensée chez Wolton en 1999 :

Soit l’on a affaire à un immense réseau commercial – à l’échelle du commerce électronique mondial -, soit à l’un des éléments d’un système de communication politique et d’expression individuelle pour la communauté internationale. Les deux perspectives sont contradictoires, et c’est mentir que de faire croire qu’Internet peut les servir simultanément et sans conflits…

Un peu comme l’Équipe qui condamnait Jacquet avant la coupe du monde 98, pariant sur une défaite qui, statistiquement, avait plus de chance d’advenir que la victoire, les intellectuels ont misé dans le pari Carr-Benkler sur la victoire du web marchant pour pouvoir se placer ensuite en grand visionnaire. Encore une fois, un positionnement moral très discutable.

Pas de bol : l’histoire les a complètement désavoués. En effet, le formidable succès de Wikipedia, l’avènement du logiciel libre et la régulation opérée par la communauté des hackers, développeurs et utilisateurs sur la gouvernance d’internet n’auraient pas été imaginé par les plus utopistes à l’époque où Wolton écrit ce texte. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ces deux sujets (Wikipedia et le logiciel libre) sont soigneusement évités par ces penseurs.

Comme l’explique Clay Shirky, les prises de position pour savoir si internet et les réseaux sociaux sont en fin de compte bénéfiques sont a) inutiles car personne n’arrêtera l’inexorable pénétration de ces outils dans la société civile et b) donnent bien plus d’indication sur les interlocuteurs que sur le sujet.

Minimisation

Article écrit par Philippe Chantepie dans la Revue Esprit : Web 2.0 les économies de l’attention et l’insaisissable internaute-hypertexte.

Dans ce texte fort documenté, Chantepie propose un panorama des grands principes du Web 2.0. Rien ne manque tout est là : Long Tail, économie de l’attention, social bookmarking, hypertextualité etc… Il demeure cependant une impression d’inachevé : quel est donc le but de ce texte aride, vide de proposition nouvelle et de perspective. La conclusion est un excellent résumé : obscure, alambiquée, sans idée.

Dans son halo, le Web 2.0 redécouvrant quelques potentialités du Web 1.0 n’a pas encore réalisé le changement de perspective qu’il prétendait incarner, pas plus qu’il n’a véritablement tiré les conséquences critiques de l’hypertexte, pour les médias, pour les savoirs, pour les usages, pour les contenus et l’information, bien qu’inscrites depuis son origine. Rouvrant l’espace à l’économie des usages et la sociologie économique, la «révolution numérique» semble, encore un moment, devoir rester bien jeune.

Le sentiment qu’inspire ce texte : l’auteur en recopiant les concepts et idées tâche de se les approprier pour mieux en diluer la dimension novatrice.

Remise en cause

Après le catastrophisme, la minimisation, la spéculation intellectuelle nous avons aussi des exemples de remise en cause même de la valeur.

Ainsi cette émission de France Culture dont hypertextual a déja parlé. Dans cette émission le chroniqueur Alain Gérard Slama se confrontent à Patrick Bazin au sujet de la numérisation de la grande bibliothèque de Lyon :

Les propos d’AGS de ce matin, particulièrement virulent à l’égard de Wikipedia (des sources de données peu fiables) ou des nouveaux usages collaboratifs d’internet (en agrégeant des données sans pertinence on ne fait pas de l’analyse mais du n’importe quoi) prouvent qu’il est très mal documenté sur le sujet.

Lorsque l’on sait comment Slama prend habituellement mille précautions dans ses chroniques matinales pour exprimer sa perplexité sur un sujet donné, la virulence de ses propos auraient tendance à exprimer autre chose que de la pure argumentation rhétorique.

Préservation des institutions

On peut avancer deux raisons justifiant la défiance des intellectuels envers internet.

D’une part, en tant qu’individus adoubés par les institutions, ils disposent d’un statut coulé dans le marbre républicain. Les outils sociaux, avec la grande fluidité sociale qu’ils facilitent, incarnent une société en perpétuel mouvement : ils remettent en cause ces statuts et ces institutions.

Apparait alors une analogie entre l’objectif principal poursuivi par les cadres d’entreprises et celui des intellectuels français : la préservation de leurs institutions respectives. Ces deux pôles opposés de notre société (en gros : l’axe privé Vs Public) s’avèrent être des alliés objectifs contre les réseaux sociaux et la menace qu’ils représentent pour ces institutions en tant que vecteurs de transparence et de facilité de collaboration.

“Le premier objectif des institutions est l’auto-préservation. Elle feront tout pour conserver les problèmes qui justifient leur existences” – Clay Shirky

D’autre part, ces outils diffusent une culture internet et numérique à des échelles et vitesses prodigieuses. Cette culture est complètement étrangère pour la majorité de nos élites. Elle est perçue comme impure car leur bagage culturel classique y est de peu de recours pour y évoluer.

Il y a une vraie répugnance de nombreux étudiants en philosophie vis-à-vis de l’épistémologie contemporaine qui s’efforce de penser et problématiser les mutations provoquées par la société de l’information, les techno-sciences et la biologie génétique. Cette répugnance trouve son origine dans la résistance de professeurs à affronter de telles questions exigeant de se frotter au monde contemporain qui ne s’éclaire pas seulement à la bougie de Descartes…

(Benjamin Pelletier)

La deuxième partie de cet article décrit les piliers de cette culture et en quoi elle rebute nos universitaires.

Comment être audible ?

Il est important que nos intellectuels participent à cette réflexion sur la révolution des réseaux sociaux. Notre tradition intellectuelle est considérable et sa contribution pour contrebalancer une pensée majoritairement anglo-saxonne sur le sujet est nécessaire.

Reste que pour être audibles, cette réflexion doit se disséminer sur les réseaux sociaux et la blogosphère. Pour cela, nos intellectuels devront s’adapter à cette culture. Pour être entendue leur pensée doit-être rationnelle, argumentée, cohérente, pratique et venir de l’intérieur (i.e avec une connaissance intime du sujet, provenant de l’utilisation de ces outils).

Une critique péremptoire privilégiant la spéculation intellectuelle, une rhétorique douteuse ou qui n’est pas une perspective utilisateur ne suscitera qu’indifférence.

La marche en avant continuera, avec ou sans eux.

Lire la deuxième partie de cet article

Cecil Dijoux est blogger sur hypertextual où cet article est initialement publié.

Crédits photo cc FlickR Eleaf, tartanpodcast et Anne Helmond.

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