OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Hollande se prend une tuile http://owni.fr/2012/03/22/hollande-tuile-veritometre-immobilier/ http://owni.fr/2012/03/22/hollande-tuile-veritometre-immobilier/#comments Thu, 22 Mar 2012 18:35:56 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=103093 OWNI-i>TÉLÉ, Nicolas Sarkozy dégringole, notamment à cause de chiffres surprenants sur la rénovation urbaine. Marine Le Pen est toujours bonne dernière et force sur les mariages. Tandis que François Hollande a du mal avec les droits de mutation sur l'immobilier. ]]>

Depuis son passage sur TF1 dans l’émission Parole de candidat rien ne va plus pour Nicolas Sarkozy dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de toutes les déclarations chiffrées ou chiffrables des six principaux candidats à l’élection présidentielle. Avec plus de 100 citations vérifiées, il s’agit du plus gros factchecking réalisé par notre équipe de vérificateurs et, avec 36% de déclarations correctes, du plus gros boulet du président-candidat : il l’a d’un coup ramené à 43,6% de crédibilité moyenne sur toutes ses interventions, à un peu plus d’un point de la dernière des prétendants, Marine Le Pen (42,5%). A l’autre bout du classement, Jean-Luc Mélenchon a repris la tête à 62,3%, suivi de près par Eva Joly (59,3%), elle même talonnée par François Hollande (58,4%).

Au cours des 72 dernières heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 27 citations chiffrées des candidats à la présidentielle. Voici un instantané des chiffres les plus étonnants de ces derniers factcheckings.

Le déménagement, c’est maintenant !

Ouvrant la semaine politique dans la matinale de France Info lundi 19 mars, François Hollande s’est penché sur les réductions d’impôts préconisées par son adversaire de l’UMP, notamment sur le logement :

Les droits de mutation sur l’immobilier [c'est] 10 milliards [d'euros].

Payés par les acquéreurs de biens immobiliers au moment du changement de propriétaire, les droits de mutation sont une ressource fiscale importante pour les départements qui les encaissent. Or, si leur montant a beaucoup varié, il n’a atteint les 10 milliards d’euros qu’en 2007, année record. Depuis, selon les chiffres du Projet de loi de finances 2011, ils sont retombés bien en dessous de ce seuil à 7 milliards d’euros. Même si des déclarations du ministre des Collectivités territoriales au Figaro évoquaient un chiffre supérieur de 16% pour 2011, à 8,1 milliards d’euros, la différence avec l’estimation de François Hollande n’en reste pas moins très importante.

Marine Le Pen force sur les mariages

Pour la candidate et présidente du Front national, l’explication unique à la tuerie de Toulouse est le développement de l’Islam radical en France et le laissez-aller des autorités sur les comportements communautaristes. Un point de vue qu’elle a de nouveau développé jeudi 22 mars au matin sur l’antenne de France info, insistant notamment sur un chiffre saisissant :

Il y a 70 000 mariages forcés dans notre pays, 70 000.

Un propos frappant puisqu’il revient à affirmer que plus d’un mariage sur quatre enregistrés par l’Etat civil (241 000 en 2011 selon l’Insee) seraient des mariages forcés, comme n’ont pas manqué de le relever les internautes :

Un chiffre aussi saisissant qu’invérifiable, aucune statistique officielle ou ministérielle n’ayant été produite à notre connaissance sur le sujet. Seul un rapport du Haut conseil à l’intégration de 2003 fait été d’une estimation de 70 000 adolescentes mariées de force chaque année dans le pays, chiffre “impossible à confirmer”, selon un rapport du ministère de la Justice publié en 2008. Et pour cause, selon une enquête de nos confrères du Monde du 19 novembre de la même année, il correspondrait en fait au “nombre de jeunes filles de 15 à 18 ans originaires des pays où existe cette pratique”. De quoi jeter défintivement le doute sur cette déclaration.

Nicolas Sarkozy à la rue sur l’Anru

Même si elle remonte au lundi 12 mars, l’intervention de Nicolas Sarkozy sur TF1 dans le cadre de l’émission Parole de candidat le 12 mars et ses cent citations chiffrées ou chiffrables continuent de nous réserver des surprises. Alors que nous avions déjà vérifié que le président-candidat s’attribuait une part exagérée des investissements réalisés dans le cadre du Programme national de rénovation urbaine, nous avons pu nous intéresser à une autre déclaration portant sur le même programme :

454 quartiers [ont été] rénovés [dans le cadre du Programme national de rénovation urbaine]

Sans statistiques disponibles pour s’assurer de la véracité de cette affirmation, nos vérificateurs ont donc décroché leur téléphone pour appeler l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. En complément du rapport sur l’état d’avancement, le service de communication de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous a fait parvenir un chiffre sur les projets menés à leur terme : “100 conventions sont achevées ou en cours d’achèvement dans le cadre du PNRU”. La liste (que vous retrouverez en document partagé) précise bien que chacun de ces “succès” correspond à un quartier visé par une convention de l’Anru. Un répertoire impressionnant mais 4,5 fois moins que le chiffre vanté par Nicolas Sarkozy.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

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Misfits : « las béton ». Un autre regard sur les périphéries urbaines http://owni.fr/2011/07/10/misfits-%c2%ab-las-beton-%c2%bb-un-autre-regard-sur-les-peripheries-urbaines/ http://owni.fr/2011/07/10/misfits-%c2%ab-las-beton-%c2%bb-un-autre-regard-sur-les-peripheries-urbaines/#comments Sun, 10 Jul 2011 10:31:33 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=72926 Il est frappant de constater le très faible nombre de super-héros officiant hors des villes denses [en]. Les justiciers masqués sont les « saints patrons des villes » ; il existe même un super-héros dont le pouvoir est justement « d’entendre » [en] la ville. Mais qui reste-t-il pour protéger les banlieues – qu’elles soient pavillonnaires ou bétonnées ?

Ce déficit est relativement logique : la culture « super-héros » s’est construite sous le règne de la banlieue pavillonnaire, symbole du rêve américain et qui ne peut donc qu’être tranquille et apaisée ; inversement, la ville dense est perçue comme violente et dépravée, un terrain de jeu idéal pour les super-héros (voir aussi ici). Entre les deux, la ville moyenne étalée est quant à elle quasiment absente du sujet. Mais l’évolution du contexte urbain aux USA tend à faire bouger les lignes.

Le phénomène reste malgré tout très limité dans la culture américaine. J’en discutais avec @jordanricker et @Splashmacadam_, qui m’aidaient à faire un rapide benchmark des héros « périurbains » dans la pop-culture mainstream. À part quelques grosses séries telles que Smallville [rural], No Ordinary Family [suburbia], quelques rares one-shots où les héros s’exilent en banlieue le temps d’un comic-book (exemple, [en] ) ou encore Buffy contre les vampires dans une moindre mesure [ville moyenne], force est de constater qu’il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent [mais on en oublie sûrement, aidez-nous à compléter la liste !]

Mais aux côtés de ces quelques exemples populaires, d’autres œuvres plus décalées ont fait le pari de mettre en avant des super-héros issus des périphéries. On remarquera que cette évolution est notamment portée par la réappropriation de la culture « super-héros » hors des frontières nord-américaines, notamment sur le vieux continent.

En France, on a par exemple Shangoo, « éducateur de banlieue qui se découvre le super-pouvoir de balancer des décharges électriques [...] et se fait, tel un Daredevil, le protecteur de son quartier » ; mais aussi et surtout Bilal Asselah aka Nightrunner, créé par un scénariste britannique : représentant en France de la Batman Inc. [en], adepte du parkouret originaire de Clichy-sous-Bois (image ci-dessus).

On retrouve logiquement un autre regard porté sur la banlieue, plus proche de la culture urbaine européenne (ou du moins de l’idée qu’on s’en fait) : suburbia pavillonnaire outre-atlantique VS cités de béton chez nous.

Dans cette veine, citons enfin les cinq délinquants de Misfits, excellentissime série britannique qui sera à l’honneur dans ce billet :

« Nathan, Simon, Curtis, Kelly et Alisha sont cinq adolescents ayant été condamnés, pour des raisons diverses, à des travaux d’intérêt général. Alors qu’ils effectuent leur premier jour, un violent orage éclate. Les personnages sont alors frappés par la foudre. Très vite, ils vont se rendre compte qu’ils détiennent désormais des super-pouvoirs… »

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme vous pouvez le constater, Misfits s’inscrit dans un décor périurbain que l’on pourrait résumer en trois mots : béton, béton, béton. Le générique est d’ailleurs relativement clair sur ce point.

Les images de la série ne trompent pas, en témoignent les quelques captures d’écran qui suivent. Attention, bonheur des yeux. Admirez notamment la qualité des plans, qui contribuent à donner au décor cette ambiance si particulière… et si oppressante.

Situé quinze kilomètres à l’Est du cœur Londres, le quartier de Thamesmead [en] sert de décor quasi-exclusif aux quinze épisodes de la série. PS : on y a aussi tourné quelques scènes d’Orange Mécanique [en].

Il n’existe qu’une poignée d’autres décors : bars et boîtes de nuit [espaces clos], un parking [couvert], une déchetterie, un palace qui deviendra leur tombeau… renforçant le caractère oppressant du béton. Je n’ai d’ailleurs retrouvé qu’un seul plan où Londres était clairement visible. Inutile de mentionner que le centre-ville ne sera pas une seule fois approché.

Malgré la relative ouverture des paysages, le décor prend donc des airs de prison à ciel ouvert que les héros ne quitteront jamais vraiment.

Mais, plus encore que ce béton omniprésent, c’est surtout l’absence de vie parmi les décors qui donne à la série cette ambiance oppressante. Lorsqu’ils parcourent la ville, les héros sont quasiment toujours seuls ou entre eux.

Les quelques rares rencontres venant ‘égayer’ l’atmosphère ne sont guère réjouissantes : superviseurs assoiffés de sang, dévots possédés, prêtres obsédés, etc.

Mais attention : il ne faudrait pas croire que Misfits porte sur la banlieue un regard cliché se résumant à l’équation « cité + béton + délinquant = tristesse urbaine ». Bien au contraire, la réalisation porte un soin tout particulier à mettre en en valeur ces décors de grisaille grâce à une photographie stupéfiante usant avec intelligence de filtres sépias.

On retrouve aussi, plus rarement, un procédé de tilt-shift [en] donnant aux bâtiments un aspect irréel, proche des décors de trains électriques (voire aussi ). Loin des clichés habituels sur la banlieue, Misfits propose donc au contraire une vision équilibrée et réaliste des périphéries : sachant sublimer ces espaces sans pour autant nier leur pauvreté urbanistique.

J’en ai peu parlé ici, mais les personnages jouent évidemment un rôle fondamental dans la construction de cet imaginaire de la banlieue, loin des stéréotypes habituels. Ceux-ci n’ont rien des délinquants traditionnels (dealers, petites frappes, etc.) : ce ne sont que de simples jeunes arrêtés pour des conneries de jeunesse (alcool au volant, drogue en boîte de nuit, insolence…). Leurs centres d’intérêts sont ceux de leur âge : baiser et/ou se bourrer la gueule en soirée. Accessoirement, ce sont de vrais petits cons ; c’est d’ailleurs ce qui rend la série si plaisante…

On retrouve ici l’équilibre de la série : positive sans misérabilisme, réaliste sans dénigrement. Cela se traduit aussi dans la nature de leur super-héroïsme : contrairement aux justiciers traditionnels, les cinq délinquants n’ont aucune envie de devenir des héros, et finissent toujours par partir au combat malgré eux. Avec d’ailleurs une certaine idée du « combat » à mener…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Qu’en conclure ? À la différence d’autres films ou séries prenant la banlieue pour décor, Misfits se garde bien de tomber dans les clichés du genre (contrairement, d’ailleurs, aux exemples de super-héros cités plus haut). Les décors jouent un rôle essentiel dans la création de cette atmosphère si particulière, entre ennui passif et contemplation active.

Une véritable bouffée d’air frais, qui certes pose un constat amer et sans complaisance sur son environnement urbain, mais qui dans le même temps souligne un certain attachement au territoire si souvient nié par les politiques urbaines (cf. programmes de rénovations/démolitions réalisés sans concertation avec les habitants du quartier). On retrouve d’ailleurs cette dualité dans de nombreux discours issus des périphéries (notamment dans le hip-hop, avec par exemple cette déclaration de Doc Gynéco : « À chacun sa banlieue, la mienne je l’aime / Et elle s’appelle le 18ème »).

Le fait que le décor serve aux aventures de « super-héros » ne fait que renforcer cette prise de distance de la série vis-à-vis des codes traditionnels du genre. Plutôt qu’à des stéréotypes [de la banlieue/des jeunes de banlieues/des super-héros de banlieue], on a ici affaire à des « prototypes » : des héros protéiformes, à l’image du décor qui les accueille :

« Le prototype est le produit d’un recyclage et d’un métissage, et à la différence du stéréotype il est propice à toutes les expérimentations et n’est pas un réceptacle fermé et prédéfini. »

Cette série peut-elle changer la manière dont nous percevons la banlieue ? Ce serait évidemment lui donner beaucoup plus d’ambition qu’elle n’en réclame. Mais elle contribue au moins à diffuser un autre imaginaire, celui d’une banlieue que l’on peut apprécier – et apprendre à apprécier, sans qu’il soit pour autant nécessaire de cacher ses cicatrices sous une couche de peinture colorée.

Sans être révolutionnaire, ce discours a le mérite de la fraîcheur, et gagnerait à être plus largement partagé. Ajoutez à ça la beauté hypnotique des décors et un portrait jouissif de la jeunesse britannique, et vous comprendrez que Misfits est une série à ne pas rater, malgré quelques défauts (notamment dans le traitement des ennemis, qui sont eux relativement clichés). En espérant vous avoir convaincu !

Pour aller plus loin : venez apprécier les BONUS de ce premier billet… On se retrouve dans quelques semaines pour un décryptage de Friday Night Lights. Bon visionnage !

Billet initialement publié sur [pop-up] urbain, dans le cadre de la série DÉCORS :

« Première série officielle de pop-up urbain, DÉCORS sera consacrée aux paysages urbains dans les séries, un pilier de la culture pop & geek (et une de mes grandes passions) que j’avais paradoxalement assez peu abordé sur ce blog. Une fois n’est pas coutume, les billets seront donc autant visuels qu’analytiques. Objectif : décrypter les formes urbaines qui composent ces séries pour mieux comprendre notre environnement contemporain.
Le prochain épisode sera consacré à la bourgade texane de Dillon dans Friday Night Lights [vidéo].»

À lire aussi le bonus à cet article

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Grand Paris, énergie, économie… PYRAMIDES DE PONZI ! http://owni.fr/2011/07/04/grand-paris-energie-economie-pyramides-de-ponzi/ http://owni.fr/2011/07/04/grand-paris-energie-economie-pyramides-de-ponzi/#comments Mon, 04 Jul 2011 16:11:34 +0000 Bruno Marzloff (Groupe Chronos) http://owni.fr/?p=72643 Gonflé de promesses de transports innovants et d’infrastructures mirobolantes, le Grand Paris s’appuie, comme tout le schéma d’étalement périurbain américain, sur une fiction économique dangereuse : un développement financé par une expansion urbaine infinie.

Vous avez aimé Madoff ? Vous allez apprécier les variantes de la Pyramide de Ponzi. Celle-ci figurait déjà dans la littérature sur le développement durable depuis les travaux du Club de Rome. Elle est reprise en trois volets, ici, et enfin par un groupe de travail américain « Strong Town » militant de la ville dense qui applique son modèle à la croissance urbaine. Ce bref feuilleton assoit ce raisonnement insensé au plan économique et en démonte les mécanismes.

La « corne d’abondance » de l’étalement urbain

Financièrement, le mode de vie américain, basé sur l’étalement urbain comme principe de modernité, s’analyse comme une fuite en avant qui se finance sur le pari de l’accroissement perpétuel. Dès lors, l’échec est programmé, au moins dans une économie américaine où les infrastructures de réseaux sont largement financées au niveau fédéral mais dont l’entretien revient au local. Deux faillites corroborent l’actualité de cette thèse : les « subprimes » nées dans les extrémités de l’étalement urbain et la baisse voire l’abandon de plus en plus fréquents de la maintenance d’infrastructures urbaines et périurbaines de transports (routes, ponts…). D’autres illustrations du fameux schéma se proposent avec les gaz de schiste aux Etats-Unis ou chez nous, avec la fuite en avant du Grand Paris ou les investissements du THD (très haut débit). Ce qui pose question est moins l’analyse que chacun pressent désormais que la manière de sortir du piège.

Le principe de prospérité – faire la ville en dehors de la ville – qui fonde le développement périurbain américain n’a jamais été éprouvé dans ses limites tant que la croissance prévalait. L’effondrement des marchés immobiliers domestique et commercial ont fait surgir les premières critiques. La difficulté pour les territoires à assumer les coûts de maintenance confirme l’intuition.

L’intuition ? Le développement inflationniste des infrastructures liées à l’étalement urbain développe une logique d’économie décroissante, voire à un moment négative. Ce modèle de développement est intimement lié au rêve américain et sa remise en cause n’est pas à l’ordre du jour. Quelques analystes tirent la sonnette d’alarme tandis que la grande majorité persiste à croire en la croissance des villes dès les premiers signes de reprise économique. Mais jusqu’à quand cela pourra-t-il durer ? Madoff devait aussi se poser la même question. La différence ? Certes, il pariait sur une croissance infinie, mais peu dupe il savait qu’il fabriquait une spirale. Nous, nous refusons de voir la bulle.

Les investissements – en majorité financés par le gouvernement fédéral ou par des prêts à taux d’intérêt préférentiels – représentent un coût d’entrée (ou coût fixe) faible pour les autorités locales. Le piège de cet effet d’aubaine se referme quand ces mêmes collectivités supportent l’engagement financier de long terme de ces infrastructures qui s’usent, ont des coûts de maintenance élevés et doivent finalement être remplacées. Cette vue court-termiste des collectivités se justifierait ainsi :

  • La ville mise sur le surcroît de revenu issu de la croissance urbaine pour financer la maintenance des infrastructures.
  • La ville accélère constamment sa croissance afin de générer suffisamment de trésorerie pour financer la maintenance de l’existant.

Un classique de la Pyramide dès lors que les villes ne croissent pas indéfiniment. La deuxième assertion s’écroule tandis que la première est systématiquement invalidée par l’expérience. Voila pourquoi l’étalement urbain fonctionne souvent comme une « bulle » ; la valeur constante des coûts n’est plus compensée par leur valeur d’utilité de plus en plus marginale quand les financements baissent avec la réduction de la densité urbaine. Une croissance irraisonnée de l’endettement les mène fatalement à une fin douloureuse. Y échappent les villes qui veillent à ce que le revenu de la croissance couvre les dépenses de maintenance et de remplacement des infrastructures.

Le bitume : machine à bulles pour les communes

Reprenons ici deux des démonstrations de l’article.

# Ainsi d’une route de campagne financée à 50% par la commune. Le montant estimé des taxes récoltées donne un horizon de 37 ans pour que la ville récupère les fonds investis alors que la durée de vie de la route s’élève à 20 ou 25 ans.

# Ou d’une commune dont le coût du remplacement (nécessaire) du système de traitement des eaux usées représente 27.000$ par habitant, soit l’équivalent du revenu annuel médian de la population. Le remplacement est inenvisageable sans financements extérieurs.

Dans chacun des cas étudiés, l’horizon de couverture des investissements consentis par la ville par le biais de fonds publics fédéraux, d’endettement ou de partenariats-publics privés dépasse de plusieurs décennies la durée de vie estimée des infrastructures. Chaque fois qu’une infrastructure arrive en fin de vie, le cycle d’investissement doit repartir, au passif de la collectivité. Il en va de même que l’endettement et du développement des infrastructures afin d’éviter le goulet d’étranglement de leur non-remplacement. En cas de stagnation prolongée de la croissance, l’endettement décolle.

En voici l’illustration graphique :
Source : The Growth Ponzi Scheme, Part 3, Charles Marohn.
La courbe représente les flux de trésorerie disponibles pour la ville ou la collectivité considérée. On raisonne au niveau de la ville (donc pour plusieurs projets d’infrastructures successifs) et pour plusieurs cycles de vies des infrastructures. La première partie de la courbe représente la croissance de la trésorerie disponible lorsque les nouvelles infrastructures sont sources de rentes fiscales croissantes pour la ville. La décroissance commence lorsque les infrastructures doivent être remplacées car elles représentent un coût équivalent à leur première construction, mais n’apportent plus de surcroît de revenu fiscale.

Ce système détruit donc de la valeur au lien d’en créer. Les bénéfices modestes à court terme sont submergés par des coûts massifs à long terme. Le modèle est durable sur un cycle de vie de l’infrastructure car son remplacement peut être financé par le surcroît de taxes résultant de la croissance de la ville dans son ensemble, mais il suffit que deux infrastructures majeures doivent être remplacées à des périodes proches pour que le modèle explose. La croissance des revenus peut supporter les coûts de maintenance mais les montants de leur remplacement assèchent les ressources. Le système alors s’effondre.

Le Grand Paris : une Grosse Arnaque ?

Le gaz de schiste nous embarque-t-il dans un autre schéma de Ponzi ? Le New York Times l’affirme à l’aune de « fuites » en provenance des exploitants. Pourquoi ce thème de la bulle resurgit-il de manière aussi lancinante ? Cette lecture n’est pas réservée aux États-Unis. Elle résonne avec des observations faites de ce côté de l’Atlantique. Les notions de progrès et de service public conduisaient jusqu’il y a peu l’État à prendre ces travaux à sa charge. Son désengagement important de ces dépenses d’infrastructures est un signe ambivalent. Exercice de lucidité – ce n’est plus supportable et l’État n’investit plus qu’à la marge – ou signe de renoncement au service public ?

D’un côté, de plus en plus de territoires présentent des signes annonciateurs de faillite et de l’autre, l’Etat maintient une fiction d’investissements considérables, mais se paie de mots. Il en va ainsi des infrastructures de transport pour lesquels la puissance publique aligne des annonces de milliards d’euros. Ainsi le schéma national des infrastructures de transport annoncé par le gouvernement français en 2010 représente 170 milliards d’euros d’investissement, mais se conclut pour l’heure par quelques malheureuses aumônes en termes de millions (cf. le Transilien). Il en est de même des réseaux informatiques de très haut débit (THD) qui ne peuvent être amortis que dans des zones très denses. Mais un contre exemple amène à s’interroger. Les infrastructures de transport du Grand Paris relèvent en effet typiquement de la même analyse que celle de Strong Town.

L’urbaniste Frédéric Leonhardt (Les comptes fantastiques du Grand Paris) dresse dans le passionnant blog Métropolitique un tableau extrêmement critique de l’équilibre financier du projet. Pour lui, « tous les ingrédients d’un crash industriel public sont réunis ». Il qualifie le Grand Paris Express de « Grand Canyon financier ». À des choix techniques budgétivores (le réseau souterrain) s’ajoutent les dérives prévisibles (la Cour des compte évoque une moyenne de dérive des coûts de 92% sur ce type de projet), sans compter les coûts de fonctionnement, rejoignant par là précisément l’analyse de « Strong Town »

Il faut ajouter à cela l’exploitation du nouveau réseau ; elle a fait l’objet d’une seule véritable estimation dans le cadre du rapport du député Carrez (septembre 2009). Pour un investissement de 24 milliards d’euros (Réseau Grand Paris version Christian Blanc combiné au plan de mobilisation de la région), les besoins complémentaires de fonctionnement sur la période 2010-2025 sont de 19 milliards d’euros, qui viennent s’ajouter à la dérive continue du déficit de fonctionnement du réseau évaluée, elle, à 24 milliard d’euros.

… Et sans compter d’autres dérives, absentes des comptes actuels.

La charge actuelle du STIF, près de 8 milliards d’euros par an, sera durablement alourdie par les réseaux supplémentaires. La couverture de zones largement moins denses générant des trafics moins élevés, le prix de revient par voyageur sera moins favorable que ceux observés sur les réseaux RER et Métro existants. Combinés au coût initial augmenté des dépassements, ce constat rend le financement et la réalisation du réseau dans sa globalité largement virtuelle.

… et sans compter d’autres incidences.

Au delà de la seule question financière, les désavantages de cette stratégie du tout neuf-tout beau se cumulent : les délais de réalisation, 10 ans en moyenne, sont plus longs que ceux autorisés par un recyclage d’emprises existantes ou un passage en viaduc. De plus, une infrastructure souterraine produit une quantité de carbone élevée, un kilomètre de tunnel engendre 40.000 tonnes de CO2, soit pour la totalité du réseau une addition minimale de 6 millions de tonnes. Ces arguments sont connus, cela n’a pourtant pas effrayé les décideurs.

Le choix assumé par toutes les parties prenantes du financement s’enferme bien dans une spirale dont on ne voit pas l’issue, sauf à ce que le projet ne survive pas à un changement de majorité lors de la présidentielle de 2012 et que leurs successeurs aient plus de lucidité. Frédéric Leonhardt rappelle que d’autres dossiers se tissent des mêmes illusions.

Pourquoi cette fuite en avant ? Elle rappelle furieusement des dossiers nationaux, comme les dossiers Lignes Grandes Vitesse Normandie et Sud Ouest par exemple, qui ont la formidable double faculté de faire monter le coût des travaux à des valeurs astronomiques tout en faisant rêver les élus locaux. Ils voient arriver l’Etat avec des projets mirifiques, garantis sans nuisances, leur promettant une dynamique économique inespérée.

La charge est sévère mais terriblement lucide. Le constat reprend exactement les éléments d’analyse des Américains : effet d’aubaine (auquel Frédéric Leonhardt ajoute « l’effet d’annonce »), logique d’extension périurbaine, investissements non pertinents, valeur décroissante de l’utilité, coûts de fonctionnement insupportables, dérives inconsidérées… et dettes abyssales. Face à ces inconséquences économiques, il reste en outre à mesurer les effets induits pour les citoyens dans leur quotidien dès lors qu’on encourage, ce faisant, le processus d’étalement et qu’on étend la règle de l’écartèlement croissant entre résidence, travail et autres ressources. Le piège se referme alors sur un cercle pervers.

L’issue présumée de ces paris aveugles sur l’avenir a bien sûr beaucoup à voir avec la crise économique et le poids des dépenses sociales. Il a aussi beaucoup à voir avec les défis environnementaux et sociaux emportés, sans qu’on le dise, dans la même bourrasque. Pourtant, il existe d’autres paris sur le futur qui permettraient de s’extraire de la vrille (voir notamment notre série sur le « peak-car » automobile). Il font d’autres paris sur les « intelligences » de tous ordres au lieu et place du béton, du macadam et des rails.


Article publié initialement sur le site de Groupe Chronos sous le titre De Madoff au Grand Paris.

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Image de une Loguy pour OWNI /-)

Retrouvez les autres articles du dossier sur les bulles économiques :

Gaz de schiste, les nouveaux subprimes ?

Bitcoin : de la révolution monétaire au Ponzi 2.0

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De la datalittérature dans le 9-3 http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/ http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/#comments Fri, 18 Mar 2011 07:30:53 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=51722

Traque traces, c’est l’histoire d’une énarque atypique qui quitte son loft bobo par passion de la littérature pour proposer un projet de résidence d’écrivain dans un lycée « difficile » du 93 classé site d’excellence. Elle tombe sur un proviseur qui lui dit banco tout de suite, de ceux qui ne s’embarrassent pas des lourdeurs administratives.

L’idée : faire des ateliers d’écriture pendant un an sur  « cette nouvelle écriture du monde et des individus basée sur les données » dans une classe de terminale STG (sciences et technologies de la gestion) sage comme tout, pas le genre à envoyer un professeur à l’hôpital pour dépression nerveuse. Les ados sont si enthousiasmés qu’ils se prennent de passion pour l’écriture, avec une appétence particulière pour son évolution numérique, et regardent maintenant leur carte Navigo RFIDéisé d’un œil suspicieux.

Tout est vrai, sauf la chute.
Cécile Portier est effectivement déléguée adjointe à la diffusion culturelle de la BNF, ce qui ne l’empêche pas de manger ses mots, des mots parfois pas très catholiques. Également écrivain, elle s’est mise en disposition du ministère de la Culture après avoir obtenu une bourse de la région Île-de-France pour aller à Aubervilliers au lycée Henri Wallon.

Elle a bien reçu un accueil enthousiaste de Mme Berthot, 1,80 m et un charisme à finir en personnage de téléfilm sur le service public. On rajoutera Arnaud, professeur principal de cette classe, qui a endossé le rôle nécessaire du garde-chiourme, au grand soulagement de Cécile et de son physique frêle, pas vraiment une voix de stentor,  « madame, on comprend pas toujours ce que vous dites… »

Depuis début octobre, à raison d’un atelier de deux heures toutes les deux semaines, elle leur fait écrire une fiction « cette écriture sans mots mais qui sont parfois transcrits en images », ces statistiques dont notre système actuel est si gourmand, comme un pied de nez à la « dataïsation » de nos vies. Mais il n’y a pas de miracle. Cécile n’en attendait pas d’ailleurs. Ce projet est juste une fenêtre ouverte, une alternative pédagogique aux cours de français classiques aux « bénéfices » difficilement quantifiables. Et tant pis pour la logique du chiffre qui règne à l’école, et à laquelle nous pouvons difficilement échapper dans nos sociétés. L’essentiel ici étant de prendre le recul nécessaire à la compréhension et de ne laisser personne d’autre écrire sa propre histoire.

Cécile Portier

« Tu t’appelles comment ? »

« Ici ou là-bas ? »

Outre l’ambition de la réflexion digne d’Hasan Elahi, cet artiste qui détourne la logique du life-logging, la difficulté provient de la construction de la fiction : elle se construit séance après séance. En cette mi-mars, les élèves commencent seulement à appréhender cet univers qu’ils élaborent. Le site qui lui donne corps est en ligne depuis un mois et les élèves ne l’ont pas vraiment mis dans leurs favoris. La séance de ce mardi va les aider à rendre plus tangibles les liens entre les personnages.

Cécile lance la consigne : « Votre personnage va écrire une lettre à un autre, en fonction des relations que vous avez nouées. » « Tu t’appelles comment ? », demande-t-on alors à une élève. « Ici ou là-bas ?, interroge la jeune fille. Ici, c’est Myriam, là-bas, c’est Mohamed, je suis vendeur dans un magasin d’informatique. »

Car chaque élève s’est inventé un double, en se basant sur ces fameuses données. « La construction des personnages s’est faite comme un jeu sous contrainte. On a introduit des vraies données dans la machine, on les a passées dans la moulinette du hasard, et on a regardé ce qui ressortait. Pourquoi faire cela: pour réintroduire ce qui fait tant peur au système de description du monde par des données : l’incertitude. Pour réintroduire de la fluidité dans un monde trop solide, découpable en tranches seulement. »

En guise d’approche, à la rentrée, Cécile leur avait raconté le Voyage des Princes de Sérendip, qui a donné son nom à la sérendipité :

- parce qu’il parle de traces laissées, et nous en laissons tous

- parce qu’il célèbre l’esprit d’enquête, et en même temps s’amuse de lui ; et certainement que nous avons à chercher, sérieusement, mais sans esprit de sérieux, car le pouvoir de l’interprétation est immense, et donc possiblement dangereux

- parce qu’il parle aussi de hasard et de chance, et sans cela on ne s’amuserait pas beaucoup

Ceci posé, on pouvait commencer à s’intéresser à nos propres traces…

Ensuite, chacun s’était assigné une résidence, non pas en fonction de l’ensoleillement ou de la proximité avec la mer, mais selon des coordonnées GPS délimitant un périmètre de quelques km2 autour d’Aubervilliers, visible bien entendu sur Google Earth ou Street View.

Même principe pour le nom, « attribué au hasard parmi les 100 patronymes les plus répandus dans le département de la Seine-Saint-Denis : de Martin, 1404 occurrences, à Leblanc, 155 occurrences, en passant par Coulibaly, 435 occurrences, la date de naissance : seulement le résultat de la loterie, fonction random number sur Excel.

Le prénom, lui, a été choisi, parmi les 10 plus fréquents dans le département 93, lors de l’année de naissance du personnage. » De même, les visages ont la froideur mathématique d’un portrait-robot car ils résultent de « la somme des mensurations que nous pouvons exercer sur eux », ça donne « des gueules de suspects », privées de « ce qui nous dessine sans nous tracer ».

Les personnages posés, tagués, il ne restait plus qu’à raconter des histoires autour d’eux pour mettre en vie cette « infratopie ». Avec toujours cette arrière-pensée politique : Cécile leur a ainsi demandé de faire raconter à un personnage de fiction un secret en réécrivant sur leur propre vécu, pour pointer cette « idéologie du rien à cacher, présente aussi dans notre entre-regard, cette philosophie de l’espionnage. » Et le graphe social de se dessiner de récit en récit, d’atelier en atelier :

Des relations souvent conflictuelles, « plus que ce que je ne pensais », explique Cécile, que la séance de ce mardi va tenter d’adoucir par la communication épistolaire. À ce détail près qu’en guise de bloc de feuille, c’est sur un antique ordinateur avec écran à tube cathodique que chaque élève va taper sa lettre. Au moins, la connexion marche. Ali, enfin pardon Fatima Coulibaly tire un peu la langue : que raconter à Tony de Oliveira ? Il se renseigne sur les événements qui les unissent via le site, ça vient : « je commence à avoir une idée pour la fin… tragique, ça a commencé mal pour elle », justifie-t-il : la pauvre Fatima est veuve, son mari a été assassiné. Ali s’attelle à la tâche, il fourmille d’idées à la fin, lui qui n’écrit jamais d’ordinaire : « on s’amuse plus qu’en cours de français, on n’est pas obligé de suivre un programme, on écrit. », explique-t-il timidement. Des vertus du ludique pour débloquer…

Fatima la veuve recevra quant à elle une lettre de David Leroy, directeur d’une société de surveillance, Kazeem dans la « vraie » vie. « Fatima, elle est pas intéressante ! », s’écrit le jeune garçon. En se creusant la tête, il finira par rédiger une missive où David Leroy essaye de convaincre Fatima d’investir dans des caméras pour se protéger, histoire de ne pas finir comme feu son mari. L’exercice ne lui déplait pas : « ça nous entraine à faire de l’écriture, à inventer de la fiction à partir de la réalité. » « Tout ce qu’on fait montre ce que l’on est, poursuit William/Chakib. Par exemple, en début d’année, nous avons vidé notre sac pour savoir ce que l’on est. »

Quand on lui demande ce qu’il pense de cet atelier par rapport aux cours de français, la réponse jaillit : « Oh c’est mieux ! C’est plus nous mêmes, on a créé des personnages. » Et mine de rien, le message est passé : son personnage, fumeur qui vient de se rendre compte qu’il est addict à la clope, écrit une lettre à un pharmacien pour lui demander des conseils pour arrêter. Il a glissé dedans des données bien flippantes sur la cigarette : « Et suite à un calcul que j’ai fait j’ai calculé que j’ai fumé 142350 cigarettes et que d’après des chercheurs anglais j’aurai déjà perdu environ 1088 jour dans ma vie. »

Une plus grande capacité à écrire

Le bilan, puisqu’il faut bien le dresser, n’en déplaise aux fans du management par l’accountability, ne passe par des chiffres bien carrés. C’est ce que vont expliquer Cécile, Arnaud et les élèves lors du débat auxquels ils participent ce vendredi matin au Salon du livre. À la fin de la séance de mardi, ils en ont discuté avec les élèves qui présenteront le projet, enfin, s’ils se lancent…

«Faut-il plus d’artistes dans les établissements ? La réponse vous appartient. Qu’est-ce que cela vous a apporté ? », interroge Cécile. « On se dévoile à travers nos personnages », avance Myriam. « Je suis super contente d’entendre ça ! », réagit Cécile. Arnaud avance des arguments : « Votre professeur de philosophie a remarqué que vous aviez une plus grande capacité à écrire, vous avez moins d’appréhension. C’est difficile à jauger pour nous-mêmes. »

Avoir plus de confiance, ça n’est pas « directement » utile pour le bac, mais c’est un atout. Et la confiance pour ces élèves, ce n’est pas une évidence : « On ne vous demande pas de faire un exposé en un quart d’heure vendredi, ne stressez pas ! »

Elen, look artiste soigné, gilet-chemise rayée, a pourtant peur « de ne pas savoir enchaîner ». « Il y aura un journaliste pour animer le débat, il vous aidera à rebondir, et d’autres lycéens vont réagir… » « Madame, vous ferez la présentation ? », Myriam retente le coup.

« Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas… » Le mantra est martelé. Et pourquoi ne se jetteraient-ils pas dans l’arène ? Certes, ils n’ont pas dépassé le stade de l’écriture narrative, certes la dimension politique du projet leur a échappé pour l’essentiel, certes les textes sont encore truffés de faute, mais ces élèves « paniqués par la consigne au début» ont fini par « s’échapper ».

Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas…

Le site Traque traces

Le blog de Cécile Portier


Reportage réalisé le mardi 15 mars 2011 au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers
Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor [CC-by-nc-sa]

> Vous pouvez retrouver tous les articles de la Une : Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent, Le papier contre le numérique et Ce qu’Internet a changé dans le travail (et la vie) des écrivains

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Le salut du clubbing parisien est en banlieue ! http://owni.fr/2010/11/25/le-salut-du-clubbing-parisien-est-en-banlieue/ http://owni.fr/2010/11/25/le-salut-du-clubbing-parisien-est-en-banlieue/#comments Thu, 25 Nov 2010 12:08:39 +0000 Florian Pittion-Rossillon http://owni.fr/?p=28343 Florian Pittion-Rossillon écrit avec brio sur le monde de la nuit, et propose des réflexions et interviews de grande qualité sur son blog Culture DJ

Le clubbing parisien vient de finir son auto-auscultation. Il a fallu pas moins que des Etats généraux de la Nuit Parisienne côté Mairie de Paris les 12 et 13 novembre, et la première édition des Nuits Capitales du 17 au 21 novembre, pour que de nombreux spécialistes s’enhardissent à réaffirmer l’espoir d’un clubbing heureux à Paris.

En précisant qu’en 2010 et la décennie qui arrive, c’est un secteur économique qui pèse lourd dans les villes où il est dynamique. On ne parle donc pas d’un caprice de bobos geignards. Il s’agit en fait de se donner les moyens de mettre Paris au niveau de Londres, Berlin, Rotterdam, Barcelone, Milan, où le New Clubbing en tant que culture épanouie bénéficie au tourisme en tant qu’industrie.

Et justement, à observer les raisons du succès de ces métropoles, on peut tenter une idée folle : l’avenir du clubbing parisien est en banlieue. Toutes les Nuits Capitales ne règleront pas la question centrale du manque d’espace intra-muros. Alors que la petite couronne (92-93-94) est couverte de grues, de friches – et d’entrepôts qui il y a 15 ans ont pu faire le bonheur de quelques free parties. En banlieue il y a de la place, en banlieue on peut faire du bruit, le voisinage sourcilleux de l’acouphène y est moins vif.

Précisions sur ce que recouvre le terme fantasmatique de banlieue, avant que ne s’élève le chœur des pleureuses pour qui la vie se passe dans les arrondissements à un chiffre. Donc, en l’espèce : la banlieue est l’espace géographique entourant Paris (selon Wikipédia, le site préféré de Michel Houellebecq : « La banlieue désigne la zone urbanisée située autour de la ville-centre, cela comprend aussi bien des quartiers pavillonnaires que des quartiers plus populaires. La notion est donc socialement neutre et correspond à une réalité physique. »). La banlieue ne se définit pas par ses mythes : voitures brûlées, combats de chiens, trafics à ciel ouvert. Et à vrai dire, la banlieue, seuls ceux qui en viennent savent de quoi il est question.

Début de solution

La banlieue qui nous intéresse est celle qui est accessible par le métro, donc rapidement et pour pas cher. Issy-les-Moulineaux (ligne 12), Boulogne (lignes 9 et 10), Courbevoie (ligne 1), Asnières (ligne 13), Gennevilliers (ligne 13), Saint-Ouen (ligne 13), Saint-Denis (ligne 13), Aubervilliers (ligne 7), Pantin (ligne 5), Montreuil (ligne 9), Maisons-Alfort (ligne 8), Ivry (ligne 7), Villejuif (ligne 7), Malakoff (ligne 4), Montrouge (ligne 4). Le STIF (Syndicat des Transports d’Ile de France) travaille à un métro circulant toute la nuit entre le samedi soir et le dimanche matin.

Ami parisien, fais-toi violence, vainc tes atavistiques réflexes anti-banlieue et calcule le temps de trajet entre un club, dont tu sors à 6h le dimanche matin, et ton domicile, selon deux hypothèses : 1 : le club est situé en centre ville. 2 : le club est situé près du terminus d’une ligne de métro. Un début de solution fraye alors son chemin entre toutes les couches sédimentées de snobisme anti-banlieue.

La banlieue, seuls ceux qui en viennent savent de quoi il est question.

La banlieue n’est pas loin. Elle est toujours moins éloignée que Londres et les autres. Le chœur des pleureuses se fait toujours entendre ? Le problème ne serait donc pas la distance ? Eh bien non… Le problème, c’est l’offre. Personne n’ira en banlieue pour une offre clubbing similaire à celle qui existe déjà intra-muros. On ne parle pas de délocalisation de l’existant, mais bien de nouvelles promesses festives, correspondant à un nouvel espace.
Pour résumer l’équation du clubbing en banlieue : nouvel espace = nouvelle offre.

Confusion entre rareté et prestige

Du point de vue du public : il s’agit d’une nouvelle offre de prestations, à tous les étages. Artistique, son, confort, accueil, le tout bien mis au carré par une saine équation de rapport qualité-prix. Le public New Clubbing est éduqué, il est prêt à payer, mais il en veut pour son argent. Les limiteurs de son et les prix du bar exacerbés, non merci.

Du point de vue des organisateurs : il est question de nouveaux modèles de contrats avec les lieux. Modèles inspirés de ce qui fonctionne dans le reste de l’Europe, et reconnaissant l’expertise de l’organisateur. Par exemple, le lieu peut fournir un budget à l’organisateur pour la direction artistique et une partie de la promotion. Modèle rôdé… partout ailleurs. Car à Paris les lieux confondent parfois l’intérêt que suscite leur rareté avec leur prestige. Ils fonctionnent parfois encore sur le mode « les lieux se remplissent automatiquement car ils sont rares » + « les organisateurs peuvent subir toutes les pressions car il y en aura toujours pour accepter toutes les conditions même les pires » = « la nuit rapporte ».

Quels plaisirs ?

Un public capable d’aller clubber à 1000 kilomètres pourra aller clubber à 5 kilomètres, mais pas pour retrouver en zone 2 SNCF la même chose que dans les arrondissements à un chiffre.

Reste à définir ce qu’est un organisateur de soirées. Entre expert de la logistique évènementielle et pourvoyeur de fantasmes, le champ est vaste, les réponses sont multiples, les candidats nombreux.

D’où la question : « Nuits parisiennes : quels organisateurs pour quels plaisirs ? ».

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Article initialement publié sur Culture DJ

Crédits photos : FlickR CC jean-fabien

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La police : victime collatérale des coupes budgétaires http://owni.fr/2010/11/22/la-police-victime-collaterale-des-coupes-budgetaires-securite-sarkozy-banlieue/ http://owni.fr/2010/11/22/la-police-victime-collaterale-des-coupes-budgetaires-securite-sarkozy-banlieue/#comments Mon, 22 Nov 2010 14:12:41 +0000 Zeyes http://owni.fr/?p=37231 Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère et secrétaire national chargé de la sécurité, a récemment publié un réquisitoire au titre évocateur Le baiser de Judas, ou comment Nicolas Sarkozy abîme la police républicaine. C’est à la suite de cette parution que nous avons décidé de le rencontrer. Cette rencontre va donner lieu à la publication de plusieurs notes sur ce blog.

La lutte contre l’insécurité est la priorité affichée par Nicolas Sarkozy depuis 2002. « Nous allons gagner la guerre contre l’insécurité » déclarait en juin 2002 le Ministre de l’Intérieur. Des déclarations de guerre maintes fois réitérée depuis. Face à tant de détermination, qui pourrait croire que les troupes censées livrer cette bataille souffrent dans le même temps d’un manque criant de considération. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : non seulement Nicolas Sarkozy n’aura pas su résister aux inerties dictées par l’habitude, mais plus grave encore, il aura fait subir à l’institution policière la douloureuse contradiction d’un discours politique présomptueux accompagné de moyens toujours plus modestes.

Un plan de recrutement rayée du programme pour cause de coupes budgétaires

La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) n’a épargné aucune administration. Pourquoi aurait elle épargné la police et la gendarmerie ? Revenons un instant sur le pacte signé entre Nicolas Sarkozy et la police en juin 2004. Ce protocole d’accord, nommé « Corps et carrières », entérine 2 grandes orientations : « le recrutement conséquent de gradés et de gardiens ainsi que la déflation des corps de conception, de directions et de commandement » pour une police républicaine, déjà à l’époque, à bout de souffle.

Or, non seulement la RGPP viendra balayer d’un revers de main le plan « corps et carrières » de 2004 (10 000 postes supprimés d’ici 2012) mais des moyens accrus seront accordés aux directions générales au détriment des forces de l’ordre présentes sur le terrain. Et comme le rappelle Guy Geoffroy dans son avis sur la sécurité dans le cadre du projet de loi de finance 2010, cette réduction d’effectifs et des moyens policiers se fera en dépit de nouvelles missions qui lui sont affectées, « guerre déclarée à la délinquance » oblige.

Les gardes statiques (ou les tâches indues) sont des « tâches lourdes qui ne relèvent pas de la mission de la police Républicaine mais qui pèse d’un poids excessif sur son activité » comme l’explique le député du Finistère. Elles se déclinent en 3 catégories :

  1. La surveillance des lieux public
  2. L’assistance apportée à la justice (escortes de détenus)
  3. La protection des « personnalités de la République » dont les plus éminentes bénéficient déjà d’une protection personnelle allouée à vie.

Dans les rares cas ou ces prestations policières sont indemnisées par le Ministère donneur d’ordre, ces prise en charge ne donnent jamais lieu à la création de postes permettant de compenser les ressources consacrées à ces tâches indues. Cette amputation des moyens policiers est ancienne et connue. Mais sur ce sujet comme sur tant d’autres, la rupture n’a pas eu lieu : le confort de l’habitude l’emporteront sur le volontarisme affiché.

Le 93, déserté en dehors des « opérations coups de poing »

Existe-t-il une adéquation entre le déploiement des effectifs de police et le taux de délinquance constaté par zone géographique ? Selon Jean-Jacques Urvoas, cette adéquation ne se vérifie pas dans les faits. En isolant les chiffres des atteintes volontaires à l’intégrité physique ; le député constate que les 10 départements (hors Région Parisienne) concentrant près de 50% de ces actes de violence, ne peuvent compter que sur 35% des effectifs nationaux.

Plus marquant encore, le secrétaire national compare les taux d’atteinte aux personnes des départements des Hauts de Seine et de Seine Saint-Denis. Dans le premier, le taux est de 8,9%, dans le second de 19,2%. Or, les deux départements se sont vus attribuer le même nombre de policiers. Et si on se concentre sur les villes: Saint Denis, Saint Ouen, Aubervilliers et La Courneuve (dont le nombre de crimes et délits par an en moyenne pour 1000 habitants est 2 à 3 fois supérieur à la moyenne nationale) ne peuvent que constater une désertion des forces de l’ordre, entre deux actions « coup de poing » aussi spectaculaires que vaines.

Manque de considération, d’effectifs et de moyens : la pilule est amère et le grand écart difficile à tenir sur la durée pour les policiers, comme pour le chef d’état. Lors du récent mouvement social, on a vu des agents dans les cortèges. La frustration se ressent et même s’exprime dans les rangs de la police. Et pourtant… les critiques publiques des syndicats sont rares et mesurées.

Et pourtant… le dialogue social n’est pas rompu et le pacte entre « le premier flic de France » et les forces de l’ordre tient encore. Au prix de quelques ajustements financiers. Une revalorisation opportune et, certes, bienvenue  pour ces policiers éprouvés, mais qui n’apporte aucune réponse au besoin impérieux de réinvestir les territoires et ne règle en rien l’insoutenable contradiction entre discours et moyens en matière de sécurité publique.

Billet initialement publié sur Zeyes needs the blog sous le titre JJ Urvoas : “La police et la gendarmerie nationale sont les bonnes à tout faire de la République”.

Photo FlickR CC Antoine Walter ; Saly Bechsin ; David Foucher.

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Vie de merde, bouffe de merde, corps de pauvres http://owni.fr/2010/04/06/vie-de-merde-bouffe-de-merde-corps-de-pauvres/ http://owni.fr/2010/04/06/vie-de-merde-bouffe-de-merde-corps-de-pauvres/#comments Tue, 06 Apr 2010 14:25:49 +0000 Laurent Chambon http://owni.fr/?p=11724 Docteur en sciences politiques et co-fondateur de la revue Minorités, Laurent Chambon revient sur les origines de la pandémie d’obésité observée aux États-Unis, et sur son apparition en France. Ce phénomène est surtout le symptôme d’une société profondément inégalitaire.

Pourtant, Evry, ça a l'air joli.

Pourtant, Evry, ça a l'air joli.

À chaque fois que je rentre dans la banlieue où j’ai grandi, dans le neuf-un, je suis frappé par plusieurs choses: (1) tout est bien propre avec des fleurs partout malgré les voitures qui brûlent, (2) les zones commerciales à l’américaine (des magasins/entrepôts construits à la va-vite autour d’un parking) remplacent les dernières forêts, (3) on voit que les gens ont de moins en moins d’argent et les supermarchés ont supprimé les produits les plus luxueux au profit des gammes premier prix, (4) la laideur commerciale et l’indigence des publicités omniprésentes sont d’une violence extrême et (5) il y a plein de gens vraiment très gros partout. Plus que gros. Carrément obèses, en fait.


Il y a quatre ans, j’avais été mixer mon premier disque à Detroit. Là-bas, la laideur structurelle de la ville et l’obésité des gens faisaient partie de l’exotisme. Mais chez moi, dans le neuf-un, la violence de cette pauvreté culturelle et visuelle mélangée à l’épidémie d’obésité m’a énormément choqué. Je ruminais ma déception quand je suis tombé sur plusieurs livres et articles sur la nourriture, l’obésité, les classes sociales et la révolution verte. Comme d’habitude, il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie, même si ce n’est pas facile.

Une des théories en vogue dans le Nord de l’Europe est que l’obésité est une maladie mentale. Ce serait une sorte d’anorexie à l’envers, mixée à des comportements d’addiction, de faiblesse morale et de dérèglements comportementaux. Au lieu de laisser les laboratoires nous mener en bateau et nous concocter des pilules magiques qui font maigrir sans aucun effet secondaire, les médecins et psychologues se voient en grands prêtres du contrôle de soi, à mettre en place des thérapies pour empêcher les gens de se bâfrer comme des cochons.

Un truc de paresseux

C’est vrai que je me sens mal à l’aise quand je vois à Amsterdam ces touristes américaines obèses qui se remplissent de mégamenus XL de frites, de hamburgers et de wraps (contenant au moins une demi-feuille de laitue) mais qui font une crise d’asthme si la serveuse leur sert un coca normal au lieu du coca light qu’elles ont demandé.

Voir des obèses manger trop, c’est presque aussi insoutenable que ces publicités pour les fondations de protection des animaux où ils vous montrent des chiots malheureux dans des cages. Il y a quelque chose d’obscène dans ce gavage d’obèses.

Cependant, même si on a envie de crier que ces Américains sont obèses parce qu’ils sont paresseux et gourmands, je me demande s’il y a là une explication valable. Car qui connaît les États-Unis sait que plus on est pauvre, plus on est soit super maigre, soit super gros. Les corps des Américains signent leur appartenance à une classe sociale, bien avant leur accent ou leurs vêtements. Les riches ont des corps athlétiques et des dents parfaites, les pauvres n’ont ni l’un ni l’autre, et la classe moyenne essaye de limiter les dégâts pour ne pas trop ressembler aux pauvres.

Quand on sait à quel point la méritocratie américaine est un mythe, et que la richesse comme la pauvreté sont avant tout hérités, on se dit qu’il doit y avoir autre chose que la volonté personnelle qui fait que les riches sont beaux et les pauvres sont moches. Donc l’idée que les gros le sont parce qu’ils sont paresseux, aussi évident que cela paraisse, ça me paraît quand même très douteux.

Les psy ont beau essayer de nous vendre leur thérapie anti-morfales, je n’y crois pas.

Faudrait qu'on fasse des efforts, quand même

Faudrait qu'on fasse des efforts, quand même

Un truc de classe

Un des bouquins essentiels de la décennie dont j’ai déjà parlé dans la Revue n°10 de Minorités est The Spirit Level, Why More Equal Societies Almost Always Do Better de Richard Wilkinson et Kate Picket. On y découvre un lien statistique direct entre les maladies et les inégalités.

Pour résumer rapidement, plus une société est inégale, plus les gens sont gros, dépressifs et violents. Plus une société est égalitaire, plus ses membres contrôlent leur propre vie : moins de criminalité, moins de violences, moins d’adolescentes enceintes, moins de viols, moins d’obésité, moins de maladies, moins d’extrême-droite…

Notre couple de sociologues anglais avoue cependant ne pas pouvoir vraiment expliquer dans les détails comment cela est possible: tout montre que les inégalités sont un facteur de stress individuel et collectif qui a des conséquences dramatiques, mais ils ne parviennent pas vraiment à mettre la main sur des articles scientifiques qui expliqueraient pourquoi vivre dans une société inégalitaire produit de l’obésité.

Finalement, je suis tombé sur un article de chercheurs, repris ensuite dans Slate, qui ont réussi à démontrer quelque chose de vraiment intéressant: l’obésité n’a pas de lien direct prouvable avec la quantité de nourriture ingérée, et elle n’est pas la cause de toutes les maladies en général associées à un important surpoids. L’obésité est en fait un symptôme d’empoisonnement alimentaire.

Pour résumer, le corps humain se protège de la nourriture de merde en stockant les éléments qu’il ne sait pas dégrader ou transformer à l’extérieur du corps, dans la couche de gras externe. Plus on mange de la merde, plus on se retrouve à dégouliner de gras sur le ventre, les seins et les fesses. Et puis, au bout d’un dizaine d’années, quand le corps n’arrive plus à se défendre et n’arrive plus à stocker toutes ces horreurs dans le gras externe, les organes internes sont touchés, et les maladies associées à l’obésité se font sentir.

Nation malbouffe

Dans Fast Food Nation, un livre très bien fait que j’avais dévoré en une traite, Eric Schlosser explique comment l’industrialisation de l’alimentation américaine est allée de pair avec une économie de bas salaires, d’un prolétariat ultra mobile et corvéable à merci, et la construction d’une Amérique inégalitaire où les infrastructures payées par tous sont au service des intérêts de quelques industriels.

Il raconte l’exploitation des adolescents par les chaînes d’alimentation rapide, l’indigence des contrôles d’hygiène, la très très mauvaise qualité des ingrédients utilisés par l’industrie alimentaire, la cruauté envers les animaux et les travailleurs sans papiers (dont les restes peuvent se mélanger dans votre hamburger), mais aussi le mensonge généralisé.

Le premier mensonge est celui de la composition des produits vendus: gras de très mauvaise qualité, graisses trans (désormais interdites dans certains États ou villes), bas morceaux, additifs en tous genre.

Pourtant, le clown inspire confiance...

Pourtant, le clown inspire confiance...

Le plus frappant est celui de l’odeur et du goût: pour cacher que nous bouffons littéralement de la merde, la viande est dotée d’un parfum « viande bien saisie sur le barbeque», les frites pré-cuites sont parfumées aux bonnes-frites-qui-n’existent-plus, la mayonnaise est parfumée au fromage et la bouillie de restes de poulets passés à la centrifugeuse pour augmenter la quantité d’eau est, elle aussi, parfumée au poulet.

Quand à l’umami, ce cinquième goût découvert par les Japonais, celui qui nous fait adorer le poulet frit ou la viande bien saisie, il ne doit rien aux ingrédients ou à la cuisson: il vient d’additifs chimiques destinés à tromper votre palais.

Non seulement on nous vend de la merde dans des jolis emballages, mais on trompe notre instinct et notre odorat.

Une histoire qui traîne beaucoup sur le Net et dans les journaux est celle de cette Américaine qui a laissé traîner dehors un Happy Meal™, ce menu concocté avec amour par McDonald pour les enfants, juste pour voir. Ignoré par les champignons, les bactéries et les insectes, il n’avait pas bougé un an après. Si même les bactéries et les champignons n’en viennent pas à bout, et que les mouches (qui ne sont pas connues pour être de fines bouches) s’en désintéressent, comment peut-on imaginer que notre corps puisse le dégrader pour y trouver les éléments dont il a besoin? Je sais que ça a refroidi beaucoup de parents autour de moi qui ont lu cette histoire.

Empoisonnement collectif planifié

Il suffit de se promener dans n’importe quel supermarché américain, néerlandais ou britannique pour réaliser à quel point la bouffe industrielle domine: il est presque impossible de se concocter un repas avec des produits non transformés exempts d’additifs destinés à tromper vos sens. Manger sainement demande des ressources pécuniaires et organisationnelles que les pauvres ne peuvent pas se permettre.

Cette évolution, on la retrouve désormais dans ma banlieue d’origine: les magasins de primeurs ont fermé depuis longtemps, remplacés par des boutiques télécom, les supermarchés font de plus en plus de place pour les plats préparés par l’industrie alimentaire (avec des marges très intéressantes) au détriment des produits frais non transformés (dont la marge est bien moindre).

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Vendre un poireau à quelques dizaines de centimes pour faire une soupe rapporte énormément moins que vendre un litre de soupe à plusieurs euros, surtout quand elle consiste surtout en de l’amidon, des exhausteurs de goût, des gras de mauvaise qualité et du sel.

Tout à coup, les statistiques des sociologues commencent à faire sens: les sociétés inégalitaires (États-Unis et Royaume-Uni en tête) sont celles où la pauvreté est la plus violente, mais aussi où l’industrie alimentaire a le plus développé d’alimentation à bas prix pour satisfaire les besoins caloriques des plus pauvres. Car leur revenu disponible y est aussi bien moindre que dans les société plus égalitaires.

Les pays européens qui suivent cette pente facile de l’inégalité sont aussi ceux qui sont les plus touchés par l’industrialisation de l’alimentation, réponse économique à la baisse des salaires réels et la violence organisationnelle qui est exercée sur les familles.

Dans une société où les gens n’ont plus beaucoup l’occasion de manger ensemble parce qu’on leur demande d’être flexibles tout en les payant moins, la malbouffe industrielle est une réponse normale.

Manger bouger point FR

Alors quand je vois ces campagnes gouvernementales « manger bouger » après des publicités pour de la malbouffe à la télé, je commence à voir rouge. On laisse les classes moyennes se paupériser, on transforme leurs villes en centres commerciaux vulgaires uniquement accessibles en voiture où la seule nourriture possible est de la merde parfumée, et on nous dit qu’il faut bouger sinon on va tous être gros.

Maintenant qu’on sait que nos corps deviennent obèses parce qu’on nous fait ingérer des produits toxiques, et qu’on mange de la merde car c’est l’organisation optimale si on veut maximiser les profits de quelques uns tout en maintenant les salaires  des autres aussi bas que possible sans que les gens aient faim, ça ne vous fait pas tout drôle d’entendre dire partout que si vous bougiez un peu votre cul vous seriez moins gros?

Ce qui m’énerve encore plus, c’est qu’on sait désormais que le modèle américain de développement est une catastrophe: une nature à bout de souffle, des villes laides où l’on vit mal, des classes moyennes paupérisées qui sont obligées de vivre à crédit parce que travailler ne nourrit plus son homme, et un quasi-monopole de l’alimentation industrielle qui a conduit à une obésité pandémique et une morbidité inconnue jusque là, même chez les enfants.

Donc on sait. Mais rien n’est fait, on continue comme ça.

Tout va bien, le pays se modernise. Vous reprendrez bien un peu notre merde parfumée?

Mais n’oubliez pas de vous bouger le cul, bande de gros paresseux.



> Article initialement publié sur Minorités.org

> Illustrations par Lee Coursey, The Rocketeer, Mustu et Srdjan Stokic sur Flickr

> Légendes par la rédaction

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