OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 87 000 prisonniers perdus http://owni.fr/2012/03/26/87-000-prisonniers-perdus/ http://owni.fr/2012/03/26/87-000-prisonniers-perdus/#comments Mon, 26 Mar 2012 07:55:13 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=103102 OWNI est parti à la recherche de ces prisonniers, pas perdus pour tout le monde. ]]>

Maison d'arrêt de la Santé. Paris Surveillants fermant la grille d'accès à la cour de promenade © Olivier Aubert/Picture Tank

C’est l’histoire d’un chiffre à succès. Répété à l’envi, du Front national à l’UMP, pour justifier la multiplication du nombre de prisons en France. Un chiffre qui impressionne. Et qui trompe. Ce chiffre, c’est celui des peines de prisons en attente d’exécution. Le ministre de la Justice, Michel Mercier, parle de :

87 000, au 31 décembre dernier

Donc 87 000 personnes en France dont la condamnation a été prononcée par un juge mais n’est pas encore appliquée. Bien plus que le nombre de places opérationnelles dans les prisons du pays, 57 213 au 1er mars 2012, selon le ministère de la Justice.

L’argument est imparable pour qui veut convaincre de la nécessité d’agrandir le parc carcéral français, à commencer par Marine Le Pen, qui préfère parler de “peines prononcées qui n’ont jamais été exécutées” ou de “peines qui ne sont jamais appliquées” plutôt que de peines “en attente d’exécution”. Avant de lancer cette proposition :

Créer dans les plus brefs délais, 40 000 nouvelles places de prison.

Mais la réalité des peines de prison en attente d’exécution est plus complexe. Seules 4,2% d’entre elles présentaient une durée supérieure à un an et deux mois en juin 2011. Un détail qui a son importance.

Petites peines

Car depuis la loi pénitentiaire n° 2009-1436 votée le 24 novembre 2009, les peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement – contre un an auparavant – sont aménageables, c’est-à-dire exécutables sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique. Si le seuil à un an reste malgré tout maintenu pour les personnes récidivistes, la loi pénitentiaire de 2009 a engagé une petite révolution en matière d’application des peines, avec pour but avoué le désengorgement des prisons.

La France carcérale

La France carcérale

Maison d'arrêt de Béthune, taux d'occupation carcérale : 216%. Faa'a Nuutania, Polynésie Française : 235%. Prison par ...

Une révolution qui n’a pas plu à tout le monde, et notamment au député Eric Ciotti. Dans son rapport sur le renforcement de l’efficacité des peines, il écrit ainsi que la possibilité d’aménager des peines inférieures à deux ans “n’est légitimement ni comprise, ni admise par la plupart de nos concitoyens”. D’où la proposition n°33 de son rapport visant à supprimer purement et simplement les avancées permises par la loi pénitentiaire de 2009.

La proposition n°33 n’a pas été retenue dans le projet de loi sur l’exécution des peines voté le 29 février dernier par l’Assemblée nationale et validé le 22 mars par le Conseil constitutionnel. L’avenir de l’aménagement des peines reste pourtant incertain.

En juin dernier, sur les 85 600 peines en attente d’exécution, plus de 82 000 étaient aménageables. Mais pas aménagées. Comme l’indique le rapport d’Eric Ciotti, seules “9 774 personnes bénéficient d’un aménagement de peine sous écrou” au 1er mai 2011.

Interrogée par OWNI sur cet écart entre les peines qui pourraient être aménagées et celles qui le sont réellement, la sénatrice Nicole Borvo, rapporteure du Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, a une explication simple :

Le passage devant le juge de l’application des peines [chargé de décider de l’aménagement d’une peine, NDLR] est beaucoup trop long en France. Des gens sont condamnés mais attendent des mois avant de savoir s’ils vont finalement aller en prison, les services d’application des peines sont débordés, bref, on manque de moyens.

Dans l’annexe du projet de loi sur l’exécution des peines figurent les mesures qui seront engagées pour “garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées”. L’augmentation des moyens accordés aux services d’application des peines arrive en dernière position, 400 postes devant être créés d’ici à 2017 dans les juridictions et les bureaux d’exécution des peines. La priorité est ailleurs dans le projet de loi : “porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places”.

45 000 condamnations de plus

Plus largement, la construction de nouvelles prisons légitimée par le nombre de peines en attente d’exécution amène à une réflexion sur le sens des courtes peines. L’étude d’impact du projet de loi relatif à l’exécution des peines avouait elle-même que “les peines d’une durée inférieure ou égale à 3 mois constituent la moitié du stock des peines en attente d’exécution”.

De quoi rendre dubitatif le sénateur Jean-René Lecerf, qui s’exprimait ainsi lors de l’examen du projet de loi au Sénat :

Mais de quoi parle-t-on ? La moitié de ces peines en attente d’exécution sont égales ou inférieures à trois mois. Quelle est la signification d’une peine de trois mois ?

Et Nicole Borvo de renchérir :

Les courtes périodes d’incarcération n’ont aucun effet en matière de réinsertion. Elles n’ont aucune valeur ‘pédagogique’.

Pour la fermeture des prisons

Pour la fermeture des prisons

La prison n'a toujours pas atteint les objectifs fixés il y a plus de deux siècles. Elle reste le lieu de l'inhumain, de ...

Le poids de ces courtes peines est à mettre en parallèle avec l’augmentation des condamnations ces dernières années : 45 129 de plus au cours de la décennie 2000, d’après les chiffres de l’Insee. Une évolution dont tient compte le projet de loi sur l’exécution des peines puisque son “scénario le plus probable” prévoit l’augmentation de “2% par an en moyenne des condamnations à des peines privatives de liberté”.

Le 6 mars dernier, plus de soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel pour juger la conformité du projet de loi sur l’exécution des peines à la Constitution. Un texte que la Haute juridiction a finalement validé en l’état, la semaine dernière, le 22 mars. Les parlementaires ne l’attaquaient que sur les partenariats avec le secteur privé envisagés par la loi pour permettre de disposer des places supplémentaires.

Une décision qui résonne comme une excellente nouvelle pour les rois du BTP carcéral, Bouygues, Eiffages et GDF-Suez en tête, dont les Partenariats public-privé (PPP) sur 24 000 places de prison supplémentaires pourront représenter de beaux profits.


Photographie par Olivier Aubert / Picture Tank © tous droits réservés

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La nationalisation bâclée qui a tué les mines zambiennes http://owni.fr/2011/04/12/mines-zambie-archetype-mondial-d%e2%80%99une-mauvaise-gestion-cuivre/ http://owni.fr/2011/04/12/mines-zambie-archetype-mondial-d%e2%80%99une-mauvaise-gestion-cuivre/#comments Tue, 12 Apr 2011 13:48:55 +0000 David Mwanambuyu http://owni.fr/?p=56529 La Zambie est l’archétype mondial d’une mauvaise gestion des exploitations minières. L’échec du programme de nationalisation de ce pays devrait inciter les admirateurs de Julius Melama, le président de l’ANC Youth League (ANCYL) [en], à mettre en sourdine leur rhétorique virulente et à écouter ce qu’ils ne veulent pas entendre : la nationalisation des mines d’Afrique du Sud pourrait causer la faillite des entreprises publiques. La question la plus importante est la suivante : qui va gérer et sera responsable de ces mines une fois qu’elles seront passées sous le contrôle de l’Etat ? Comment l’Etat va-t-il juguler la fuite des talents et des capitaux après la nationalisation ?

Alors qu’une délégation de l’ANCYL a entrepris une visite au Vénézuela pour se faire une idée du programme de nationalisation de Chavez, il est hallucinant qu’ils n’aient pas fait un voyage moins long à travers le Limpopo pour tirer des leçons de l’expérience malheureuse de la Zambie dans la gestion de ses mines de cuivre. Les mines de Zambie ont été re-privatisées au terme d’un long processus et la mine de cuivre de Luanshya a été la première à être adjugée aux enchères en 1997.

Environ une décennie après l’indépendance de l’ancienne colonie britannique, le cuivre était devenu le poumon de la Zambie. L’auto-destruction de la Zambie était programmée en 1970 après les réformes économiques de Mulungushi qui ont fait le lit d’un plus grand interventionnisme de l’État en matière économique via la déclaration Matero. Résultat, le gouvernement du docteur Kenneth Kaounda a déclaré son intention d’acquérir une participation de 51 % ou plus dans un certain nombres d’entreprises clés dirigées par des étrangers dans ce pays d’Afrique australe.

Des contrats de marketing et de management ont été proposés aux anciens propriétaires des mines – une disposition qui a duré jusqu’en 1974 date à laquelle le gouvernement a mis fin à ces accords. En remplacement, le gouvernement a désigné pour la première fois des directeurs généraux zambiens, David Phiri et Wilson Chakulya, qui ont pris respectivement la tête de Roan Consolidated Mines (RCM) et de Nchaga Consolidated Copper Mines (NCCM). L’effet de ces réformes économiques a été plus vaste et profond dans le secteur clé des mines. Le pays est le 11e plus important producteur de cuivre au monde, plus de deux milliards de tonnes de cuivre restent encore à exploiter.

En 1964, c’était le troisième plus gros producteur dans le monde. Il exportait alors plus de 700 000 tonnes par an et faisait partie des pays les plus prospères d’Afrique selon le Consultancy Africa Intelligence (CAI) [en]. L’extrême dépendance de la Zambie au cuivre est parfaitement illustrée par les statistiques : le cuivre contribue à 40 % du PIB de la Zambie et représente 95 % des exportations du pays. Environ 62 % des recettes fiscales du gouvernement proviennent du commerce du cuivre. En 30 ans, la production de cuivre a diminué régulièrement pour passer de 700 600 tonnes à 226 192 tonnes en 2000.

Le déclin était un résultat de la mauvaise gestion de la mine d’État par la Zambia Consolidated Copper Mines (ZCCM) [en] et du cruel manque d’investissements. Les autres facteurs sont la baisse du prix du cuivre sur les marchés mondiaux des matières premières et l’incapacité de la Zambie à augmenter son capital ainsi que son incompétence à gérer ces mines. La situation s’est détériorée quand le gouvernement est devenu actionnaire majoritaire des deux grandes sociétés sous contrôle étranger – l’Anglo-American et le Rhodesia Selection Trust (RST) respectivement devenus le NCCM et le RCM.

Le délabrement des mines s’est accéléré en 1982 quand le NCCM et le RCM ont fusionné pour former le ZCCM avec Francis Kaunda (aucun lien avec le président) devenu PDG. Il a occupé cette position jusqu’en 1991, quand il a été relevé de ses fonctions par le nouveau gouvernement à la suite de la défaite du Dr Kaunda à la première élection présidentielle multipartite.

Les erreurs stratégiques

Liepollo Lebohang Pheko, directrice des programmes et du plaidoyer au Trade Collective, pense que la nationalisation des mines de Zambie n’était pas mauvaise en elle-même, mais elle souligne aussi que les réformes économiques de Mulungushi qui ont fait le lit de l’intervention étatique dans l’économie, manquaient de soutien.

La nationalisation a permis à l’État de contrôler 80 % de l’économie via des structures paraétatiques engagées dans les mines, l’énergie, le transport, le tourisme, la finance, l’agriculture, le commerce, l’industrie et la construction, affirme-t-elle.

L’État est devenu le moteur de la croissance, mais le défi était d’équilibrer ce phénomène avec des impératifs au niveau mondial, avec des ambitions de développement et même avec les effets du régime de l’Apartheid qui a cherché à déstabiliser les économies des Frontline States [en], un groupe d’États d’Afrique australe – fer de lance du soutien à l’ANC – que la Zambie a présidé.

“Peut-être que ce qui a manqué aux réformes était un plan d’urgence” soutient Liepollo Pheko. Elle énumère les raisons de l’échec de la Zambie de la façon suivante : les industries d’importation de substituts se sont avérées inefficaces et non compétitives à cause de coûts de production élevés, d’un fort monopole sur les prix, de dépendance vis-à-vis des subventions du gouvernement, d’un manque de dynamisme technologique et d’une sous-utilisation de la capacité de production et de travail.

L. Pheko soutient aussi que l’Industrial Development Corporation (INDECO) [en] n’a pas réussi à réduire la dépendance à l’égard des contributions extérieures. L’INDECO a aussi échoué à créer des emplois en raisons des coûts élevés des machines de production, et du recrutement exclusivement effectué sur un petit marché urbain au mépris de la majorité pauvre des zones rurales. L. Pheko, née en Zambie, affirme qu’il faut bien noter que l’INDECO elle-même a échoué à passer de la production de biens de consommation non-durables à des biens durables et des biens d’équipement. Quatrièmement, la négligence volontaire de l’agriculture et les zones rurales entraînait une dépendance accrue envers l’industrie minière du cuivre.

Le cinquième élément est le parti pris contre les exportations et les restrictions d’importation qui ont abouti à de plus hauts taux de change et ont diminué les gains des exportations. Sixièmement, le soutien de la Zambie aux mouvement de libération d’Afrique australe (notamment l’ANC) et la fermeture de la frontière à la suite de la Déclaration Unilatérale d’Indépendance de la Rhodésie, ont gravement atteint la mise en place de plans de développement, alors même que des routes alternatives d’exportation devaient être construites, notamment la voie ferrée Tanzanie-Zambie.

Il apparaît qu’il y a eu une forte corrélation entre le déclin des revenus du cuivre et l’appétit du gouvernement à emprunter à l’étranger afin de maintenir sa capacité d’importation pour la consommation et l’investissement : lorsque le cuivre et les prix à la production ont fortement chuté au début des années 1980, la dette extérieure annuelle de la Zambie a triplé (à prix constant), alors que les taux d’intérêt augmentaient dans le monde, explique L. Pheko.

Mauvaise gestion de l’ensemble de l’économie

Les politiques économiques libérales, l’assistance étrangère et la démocratisation n’ont pas incité à un assainissement de l’économie, au développement durable et à la réduction de la pauvreté. L. Pheko rappelle que le problème de la rareté des talents ne concernait pas uniquement les mines, mais était un problème structurel, affectant l’agriculture, l’industrie et d’autres secteurs. L’industrie s’est également effondrée à cause d’une part de la mauvaise gestion des privatisations et d’autre part de la concurrence des fabricants du Zimbabwe et d’Afrique du Sud.

La libéralisation s’est accompagnée de corruption qui a aussi miné les performances économiques. La corruption a pénétré toutes les institutions du gouvernement, estime L. Pheko.

La décision de reprivatiser le ZCCM est apparue comme l’un des volets du Programme de Réforme Structurelle. C’était devenu inévitable, comme l’avait lui-même reconnu le précédent gouvernement. Mais l’idée du régime de Kaunda consistait à permettre au ZCCM restructuré de continuer à opérer en tant qu’entreprise d’État, en étant associée aux entreprises privées qui devaient obtenir l’autorisation de mener des nouvelles prospections et exploitations minières.

Certains partisans appellent de leurs vœux un modèle similaire en Afrique du Sud, plutôt qu’une nationalisation générale des mines. La compagnie minière publique (l’African Exploration Mining and Finance Corporation) pourrait jouer ce rôle. Le principe est comparable au modèle chilien. L’État y dirige le géant de l’exploitation minière Codelco (Corporación Nacional del Cobre de Chile), et l’exploitation de nouvelles mines de cuivre est accordée à des investisseurs privés.

Sans une réorientation de l’exploitation minière vers une industrialisation orientée vers l’exportation, la politique de substitution de l’importation et de libéralisation de l’économie ne s’est pas avérée favorable au développement économique. Résultat, la Zambie est devenue l’un des pays les plus pauvres du monde et souffre d’un déclin économique, sans grands espoirs de rétablissement.

L. Pheko l’explique :

En Afrique, nous avons tiré de nombreuses leçons des défis de la nationalisation: les expériences de la Zambie, de l’Ouganda ou du Congo nous indiquent que l’État n’est pas toujours à la hauteur de l’industrie minière, où les mines les plus profondes et les plus complexes nécessitent le plus grand degré d’expertise en ingénierie, management, marketing et maintenance.

Myopie politique ou ignorance économique?

À son indépendance, l’économie zambienne était dépendante des mines de cuivre, qui représentaient à l’époque 90% des exportations. Les dirigeants du pays se sont dévoués à la promotion du développement économique et la restructuration de l’économie.

On peut considérer que les taux de croissance ont été convenables dans les années 60 et au début des années 70, principalement grâce à une importante production de cuivre, à des prix élevés, et à une augmentation de la production de l’industrie et du maïs, en plus d’une augmentation du nombre des équipements sociaux et sanitaires, d’après L. Pheko.

Cependant, le programme de nationalisation en général et la substitution aux importations en particulier, se sont avérés très coûteux. La Zambie n’a pas réussi à diversifier son économie, et la substitution de l’importation s’est avéré défavorable, entrainant le déclin économique.

La boîte de Pandore

Le déclin des prix du cuivre depuis 1974 a contribué à la ruine de la Zambie. Conséquence : une diminution des dépenses du gouvernement pour le développement – y compris de l’industrialisation par substitution aux exportations – une incapacité à importer des biens, des problèmes de balance des paiements, et l’impossibilité de rembourser la dette extérieure.

D’après L. Pheko, le fait que le gouvernement n’ait pas épargné quand les prix du cuivre étaient élevés – pour amortir les chutes probables des prix – a fait empirer la situation économique. Le gouvernement a préféré augmenter ses dépenses sociales et de santé, importer des articles de luxe, aider le secteur semi-public et les entreprises privées et enfin, indemniser largement les travailleurs, en particulier les mineurs. Par ailleurs, l’importante intervention de l’État a renforcé la bureaucratie, la corruption et l’incertitude et découragé le secteur privé et les initiatives étrangères.

La faible performance économique de la Zambie depuis 1991 peut être attribuée à deux autres facteurs: d’une part, l’élite politique n’a pas su mettre en place des stratégies de développement bien définies sur le long terme. Ils n’avaient qu’une vision à court-terme en vue du renversement du gouvernement de Kaunda. D’autre part, la dépendance excessive envers le Fonds Monétaire International et les prescriptions économiques de la Banque Mondiale ont réduit la capacité de l’État à développer son économie.

Conclusion

D’après le CAI, le programme de nationalisation de la Zambie a été inopportun, compte tenu de la crise pétrolière et du déclin des prix du cuivre qui ont entrainé une grave crise de la dette. Le phénomène a été exacerbé par une centralisation de l’économie, qui a provoqué une dépendance accrue au cuivre et un grave déclin économique.

Le fait d’investir dans des secteurs non favorables, au lieu d’investir dans le secteur minier et d’ouvrir de nouvelles mines a conduit à une augmentation des coûts de production. L’exploitation des mines existantes est devenue beaucoup plus onéreuse, conduisant la Zambie à la nationalisation de son secteur minier et à un échec lamentable. Le seul moyen de rectifier la situation était de privatiser l’industrie et d’attirer des investissements étrangers.

Le CAI estime que la Zambie n’a pas beaucoup bénéficié de l’engagement international (privatisation) dans le secteur du cuivre. La plupart des bénéfices potentiels existants se sont transformés en impacts négatifs. La réduction des revenus du gouvernement liés aux taxes sur les mines de cuivre et les redevances notamment, et la précarisation du travail, compte tenu du nombre de Zambiens employés à court terme et de l’arrivée massive de travailleurs chinois dans les mines chinoises; ainsi que les problèmes de sécurité des mines qui ont mené à la mort de 49 mineurs dans une explosion en 2005.

Le CAI conclut que le gouvernement zambien devrait réévaluer sa politique minière ainsi que sa législation, afin d’engranger un maximum de bénéfices en provenance de l’industrie du cuivre et de créer un environnement favorable à la population.



Traduction : Hélène David, Pierre Alonso

Article initialement publié en anglais sur Leadership, sous le titre Bitter Lessons for South Africa

Crédits Images : carte U.S. Government Wikimedia Commons // FlickR CC mm-j / Hypocentre

Image de Une par Elsa Secco @Owni /-)

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“Enfermer des gens en prison et les priver de sexe est un acte criminel” http://owni.fr/2011/03/29/enfermer-des-gens-en-prison-et-les-priver-de-sexe-est-un-acte-criminel/ http://owni.fr/2011/03/29/enfermer-des-gens-en-prison-et-les-priver-de-sexe-est-un-acte-criminel/#comments Tue, 29 Mar 2011 09:30:33 +0000 Linda Maziz (Zélium) http://owni.fr/?p=53860

Jacques Lesage de La Haye, 72 ans, ex-taulard et doctorant en psychologie, dénonce depuis plus de quarante ans le caractère destructeur de l’univers carcéral. À commencer par la privation de relations affectives et sexuelles en détention qu’il considère comme “une castration pure et simple de l’être humain”.

Assimilée aux châtiments corporels, dénoncée par la Commission européenne des droits de l’Homme, le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, la privation de sexe engendre chez les détenus des dégâts considérables, identifiés et connus depuis bien longtemps par les autorités publiques.

Et pourtant, la France, dans ce domaine, fait toujours figure de lanterne rouge. Une actualité toute relative (une entreprise qui voulait offrir mille sextoys à des taulardes pour leur Saint-Valentin) nous a donné envie de remettre le sujet sur la table.

Et pour en parler, on s’est évidemment adressé au grand spécialiste de la question. Rencontre avec l’auteur de La Guillotine du sexe et de L’Homme de métal, et l’animateur de l’émission Ras-les-murs, diffusée chaque mercredi à 20h30 sur Radio-Libertaire.

Zélium : Pour la Saint-Valentin, une entreprise a voulu offrir 1.000 sextoys à des détenues, mais l’administration pénitentiaire a rétorqué “que le recours à cet accessoire relève de la sphère privée” et que “l’administration n’a pas à le proposer elle-même hors cadre de demandes expresses”.
Cette réponse, ça vous inspire quoi ?

Jacques Lesage de La Haye : En l’occurrence, il s’agit d’un coup médiatique d’une entreprise qui a voulu tirer profit de la misère sexuelle en prison pour essayer de récolter un nouveau marché. Déjà ça, c’est crapuleux.

Mais ce qui me scandalise le plus, c’est que l’administration pénitentiaire ose donner une réponse aussi lénifiante, hypocrite et ambiguë, laissant entendre que ce type de commerce était possible dans l’enceinte de la prison.

L’administration n’a donc pas évolué sur la question du sexe en prison ?

J. L. de La H. : Les seuls progrès enregistrés à ce jour sont extrêmement partiels et insuffisants. On est pourtant quelques-uns à harceler l’administration sur cette question depuis quatre décennies, mais la France en est toujours à un point qui est désespérément grotesque et ridicule.

La problématique de la sexualité en prison a été mise sur le tapis en 1971. À cette époque, il y avait déjà 25 où 30 pays qui s’étaient emparés du sujet à bras le corps.

Avec Michel Foucault et d’autres, intellectuels et taulards, on a créé le Groupe Information Prison, qui a posé le problème. Surtout moi, puisque c’était mon sujet de thèse de doctorat de psychologie et que je voulais qu’on en parle pour que ça change.

Je n’étais pas le seul à avoir constaté les dégâts causés par la frustration affective et sexuelle. Déjà, à ce moment-là, il était urgent de trouver des solutions qui permettraient une prévention et une neutralisation de la souffrance pour que les dégâts ne soient pas aussi considérables qu’ils ne l’étaient.

C’était pas trop compliqué de mettre le dossier sur la table ?

J. L. de La H. : La sexualité en prison, ça a toujours été un sujet tabou qui met tout le monde mal à l’aise. J’ai même des copains qui par souci de dignité me disent “moi j’ai fait 18 ans, j’ai pas eu de problèmes”. Je trouve ça idiot, ce n’est parce qu’on est un homme, qu’on a pas de problèmes.

Et celui qui le tait est un imposteur. Ça peut paraître dévalorisant de dire qu’on a souffert, qu’on a été cassé, qu’on a eu du mal à s’en sortir mais ce n’est qu’en disant la vérité qu’on pose le problème et qu’on peut trouver des remèdes.

Qu’est-ce que vous avez entrepris ?

J. L. de La H. : J’ai continué à m’occuper et à débattre de cette question-là, j’ai publié la première édition de La Guillotine du sexe en 1978 qui reprenait l’essentiel de ma thèse. Il y a eu ensuite la commission architecture prison, où Badinter m’avait chargé en 1984-85 d’interviewer des prisonniers pour savoir s’ils souhaitaient l’équivalent des parloirs intimes. Autant dire qu’on enfonçait une porte ouverte, mais c’était une étape de plus qui amenait cette fois-ci le problème au niveau gouvernemental.

Je me souviens notamment du directeur du centre pénitentiaire de Mauzac en Dordogne qui avait appliqué nos recommandations. Il avait demandé de son propre chef aux gardiens de regarder par terre ou en l’air mais surtout pas à l’intérieur lorsqu’ils surveillaient les parloirs. Derrière cette consigne, il y avait le respect de l’intimité des gens. Sachant qu’il n’y avait pas de regards inquisiteurs, les gens ont pu faire l’amour. Je le sais parce que de septembre 86 à juin 89, il y eu la naissance de huit “bébés parloirs”.

Ça s’est ensuite arrêté avec l’arrivée d’une nouvelle directrice ultra-conservatrice qui s’est empressée de suivre les directives de la droite. De nouveau et comme partout ailleurs, s’ils étaient surpris, les prisonniers risquaient d’être privés de parloir ou d’être mis au quartier disciplinaire.

Pourtant, depuis, il y a bien eu la mise en place des parloirs intimes, les unités de vie familiale ?

J. L. de La H. : La première unité de vie familiale a été mise en route pour la première fois en 2003. Pour l’occasion, j’ai été invité sur un plateau télé où on m’a demandé si j’étais content.

À ce moment là il y avait 187 prisons et une seule équipée. On lance le combat en 1971. C’est déjà urgent et ça devrait être fait depuis longtemps. On commence seulement à les mettre en place en 2003 et on ose me demander si je suis content ? Non, je ne suis pas content, je suis indigné, je suis révolté, je suis scandalisé. Et aujourd’hui, on est en 2011, et les choses ont très peu avancé.

C’est une très belle vitrine, mais ce n’est pas la panacée dont on parle. Soyons clairs, les unités de vie familiale ne concernent que très peu d’établissements et elles ne bénéficient qu’à un pourcentage infime de détenus. La majorité n’en profite pas et la France continue de faire figure de lanterne rouge.

Vous comparez la privation affective et sexuelle à la castration pure et simple de l’être humain ?

J. L. de La H. : Enfermer des hommes et des femmes dans les prisons et les priver officiellement et matériellement de relations affectives et sexuelles est un acte criminel. C’est quelque chose qui les castre, qui les détruit et qui en fait, pour une partie d’entre eux, des obsédés sexuels et affectifs.

Quand j’ai réalisé mon enquête à Caen, la privation engendrait des conséquences incroyables. Un détenu sur trois avait eu une ou plusieurs relations homosexuelles. Évidemment, l’homosexualité me semble être une des choses les plus naturelles, par contre je reste très réservé sur une homosexualité de “circonstance” et donc forcée.

Quand on ne peut pas aller vers le sexe qui nous est habituellement complémentaire, il est bien légitime de retrouver ses partenaires sexuels chez des personnes du même sexe. Il y en a qui y trouvent leur bonheur, mais pour beaucoup, ça se fait dans un climat de honte, de colère, avec une culpabilité prégnante et massive et, à l’intérieur de soi, une haine, une rage et un réel désir de vengeance qui ne présagent pas de lendemains qui chantent à la libération.

Quelles sont les autres conséquences ?

J. L. de La H. : J’ai relevé qu’il y avait aussi 97 % des détenus qui recourraient de manière systématique à l’onanisme. J’ai des témoignages de détenus qui se masturbent huit, dix fois en une journée, pendant des mois et des années. Il faut voir à la longue dans quel état ils se retrouvent.

D’autres avaient développé à l’intérieur de la prison un comportement déviant que l’on va retrouver ensuite à l’extérieur. Il y en avait qui faisaient de l’exhibitionnisme à travers les barreaux en se persuadant qu’on les observait, d’autres qui espionnaient des femmes avec des lunettes optiques.

Je me suis aperçu qu’il existait des tas de moyens de compensation et de substitution pour faire face à cette frustration. Il y avait notamment un jardinier qui était devenu le proxénète d’une truie et qui la louait aux détenus. Il y avait aussi l’histoire d’un jeune qui avait attrapé une chatte et qui avait agrandi son vagin avec un canif pour pouvoir la violer, sans parler de celui qui avait éduqué un serpent pour qu’il lui fasse des fellations…

Quand la relation qu’il peut y avoir entre deux êtres humains prend la forme d’une simple éjaculation dans la gueule d’un serpent, c’est bien que la personne en est réduite psychologiquement, affectivement et émotionnellement à quelque chose de l’ordre d’une désorganisation totale de son psychisme.

En gros, au lieu de réinsérer les détenus dans la société, on crée des monstres ?

J. L. de La H. : C’est sûr que si on veut décapiter symboliquement les être humains, les décérébrer et les détruire émotionnellement et affectivement, il suffit de les enfermer et de les priver de sexualité pendant des années. C’est comme ça qu’on produit des robots et des espèces de monstres détraqués.

Quand ils sortent, les détenus ne sont plus dans le désir, mais dans le besoin. Le désir, c’est la rencontre de l’autre, le besoin, c’est un manque viscéral qui détruit le corps humain, qui écartèle le psychisme et qui rend la relation pathologique.

Si on regarde les sujets “normaux”, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des criminels sexuels, donc la grande majorité des détenus, cette espèce de destruction psychologique va créer un état permanent de surexcitation et de frustration, que moi j’ai appelé le “syndrome de sursollicitation”.

En fait, ils sont tellement sous-sollicités sur le plan affectif, émotionnel et donc sexuel, qu’une fois sortis du contexte de l’isolement carcéral et remis en circulation dans la société, ils ont l’impression d’être sursollicités : une fille qui passe dans la rue, une publicité avec un corps dénudé, un film avec une scène érotique, ça les perturbe énormément, parce que ça les renvoie à leur frustration.

Et pour les criminels sexuels alors ?

J. L. de La H. : Si le sujet est de surcroît perturbé au départ, parce que c’est un psychopathe, un paranoïaque ou un pervers, non seulement il ne sera pas guéri en sortant, parce que quoi qu’on raconte dans les médias, il ne sera pas suivi, mais en plus, cela va aggraver ces désirs de vengeance et de haine.

Il faut d’ailleurs s’étonner qu’il y en ait si peu qui récidivent. Bien souvent, ils sont dans l’incapacité de recommencer, non pas parce qu’ils sont guéris, mais parce qu’ils sont bien trop traumatisés, dans un état grave d’angoisse, de désespoir, voire d’implosion psychologique.

Il y en a néanmoins qui récidivent et on ne cite que ceux-là, pour nous faire croire que les prisons en sont peuplées. Mais si on regarde la moyenne des peines, en France, c’est huit mois et quelques jours, ce qui prouve bien que ce ne sont pas eux qui sont les plus nombreux en prison.

Tout ce que vous racontez, les politiques le savent très bien. Pourquoi les choses n’avancent pas ?

J. L. de La H. : Pour considérer les choses au point de vue politique, il faut s’intéresser au sens politicien et non pas au sens de gestion de la cité, qui serait une prise de conscience qui nous amène à réfléchir collectivement sur la façon dont on va s’organiser socialement.

La politique, c’est un désir de pouvoir, d’argent, de notoriété et de reconnaissance. C’est quelque chose qui monte à la tête, qui donne du prestige et un quotidien sans le moindre souci matériel. Pour se faire élire et garder le pouvoir, les politiciens savent qu’ils ont intérêt à caresser dans le sens du poil une humanité peureuse, conservatrice et moralisante. En gros, leur discours c’est : “Vous avez peur ? J’en ai conscience, mais ne vous inquiétez pas, je vais vous protéger. Avec moi, vous serez en sécurité et d’ailleurs ce qui crée l’insécurité, ce sont les jeunes, les étrangers, les drogués, les homosexuels”, et tout un tas de gens qui sont des boucs émissaires désignés.

Donc diviser pour mieux régner, mettre de la discorde et ensuite apparaître comme le sauveur. Ces stratégies font que sont élus successivement des droites très réactionnaires et des gauches conservatrices obligées de s’aligner sur le moule sécuritaire pour s’attirer les faveurs des électeurs.

C’est pas ça qui va aider à faire baisser le taux de récidive…

J. L. de La H. : Si au lieu d’augmenter les effectifs de surveillants dans les prisons pour faire plaisir à l’opinion publique, on se disait, il faut multiplier les alternatives à la prison, prévoir davantage d’éducateurs, de psychologues et de travailleurs sociaux pour les aider à surmonter leurs problèmes psychologiques, à acquérir de la culture, à préparer des professions, c’est sûr qu’il y aurait beaucoup moins de récidive.

On a des exemples d’expériences menées dans d’autres pays, où les taux de récidives ont dégringolé. Manque de chance, ce sont des solutions humanistes, progressistes et futuristes, donc on va les décréter “utopistes”. Peut-être qu’elles le sont aujourd’hui, mais comme toujours avec l’utopie, c’est ce qui est impossible aujourd’hui et possible demain.

À partir de là, ceux qui sont élus sont représentatifs d’une opinion publique caressée dans le sens de sa propre peur. C’est pour ça qu’on se retrouve avec des gens très agressifs, rigides et autoritaires comme Hortefeux, Sarkozy, MAM, Rachida Dati… Des gens qui n’ont aucune réflexion, aucune prospective, aucune espérance en l’être humain, aucun sens de l’entraide et de la solidarité. L’inconvénient, c’est que ces politiques à courte vue sont celles qui fabriquent de la récidive.

Et c’est mal parti pour s’arranger…

J. L. de La H. : Effectivement. Les États-Unis, qui détiennent le record du monde, avec plus de 2 millions de détenus, nous proposent un modèle qu’on est en train d’enfourcher comme un dada : les prisons privées, un formidable système pour permettre que les prisons soient rentables.

En gros, on laisse la construction, la gestion, la logistique et l’intendance à des entreprises type Bouygues, La Lyonnaise des eaux ou la Sodexo et il n’y a au fond plus que la surveillance qui reste la propriété de l’administration pénitentiaire.

Autant dire que si les prisons sont confortées par des idées capitalistes de rentabilité, c’est évident que la logique moralisante et sécuritaire ne va pas s’arrêter comme ça. Au contraire. Alors c’est sûr que les centres privés apportent un confort incontestable par rapport aux prisons classiques. Mais, c’est encore moins la prise en compte de l’intérêt des individus, parce que c’est de la recherche de rentabilité.

On a l’impression d’avoir des conditions plus favorables parce qu’il y a un frigo et une douche dans la chambre ou parce qu’il y a une carte d’identité interne bidon, mais pour moi, cet enfermement, c’est le même, sauf qu’il est plus pervers, parce qu’il est moins brutal et moins frontal.

En vérité, l’incarcération devient totalement inhumaine, puisque tout est informatisé et électronique, et à la fin les types ne s’en sortiront pas mieux que ceux qui sont passé par les prisons d’État, parce que ce n’est qu’une espèce de soumission à l’autorité par le biais d’un confort économique.

Propos recueillis par Linda Maziz

Billet initialement publié sur le blog du journal satirique Zélium

Image CC Flickr Colourless Rainbow, lucborell et Gueorgui Tcherednitchenko, etgeek (Eric)

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Internet et sida, ||même prescription scolaire? http://owni.fr/2011/03/28/internet-et-sida-me%cc%82me-prescription-scolaire/ http://owni.fr/2011/03/28/internet-et-sida-me%cc%82me-prescription-scolaire/#comments Mon, 28 Mar 2011 14:30:46 +0000 Odile Chenevez http://owni.fr/?p=52305

[Tribune initialement publiée en octobre 2007] Les élèves qui arrivent aujourd’hui à l’âge du lycée ne veulent plus entendre parler d’éducation à la sexualité. Ils ont le sentiment de tout savoir sur un sujet qu’on leur a servi chaque année de collège sous l’angle de la prévention contre le sida. Ce sont toujours des intervenants, partenaires associatifs, et extérieurs, qui s’y collent avec un dévouement d’acier, une mission louable et des outils de démonstration vaillamment décomplexés…

Ces interventions sont souvent parfaites dans leur organisation. Animées avec talent, elles recueillent l’adhésion du système scolaire, qui trouve là un palliatif pour un contenu à enseigner indispensable, et d’ailleurs annoncé dans le programme de SVT des collèges : « Adopter une attitude raisonnée fondée sur la connaissance et développer un comportement citoyen responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé (choix personnels et comportements collectifs). »

Il est en effet plus confortable d’abandonner la dimension concrète de cette approche à des associations spécialisées. Ces interventions sont souvent détachées du reste de l’activité d’enseignement et proposées comme une information sur les risques et les bons comportements. Elles reviennent à la transmission d’une doxa, et ne constituent pas un enseignement, qui supposerait une approche plus longue, mieux intégrée et contextualisée, dans une relation aux savoirs où les élèves ne sont pas un auditoire passager d’un spectacle (au mieux) interactif. Les enseignants qui ont assumé d’intégrer la question du sida à leur enseignement le savent bien, même, et surtout, s’ils l’ont fait sous la forme d’un IDD ou d’un TPE où le recours à un intervenant est possible mais ne constitue pas l’unique modalité de l’étude.

Une solution « clés en main »

Ce phénomène, qui consiste pour l’école à se décharger sur des intervenants associatifs de certaines questions vives de la société, touche également le problème des risques liés aux usages d’Internet. Certaines officines ont trouvé là une véritable mission alimentée par la pléthore de peurs qui entourent le sujet. L’association la plus en vue actuellement sur cette question se nomme Calysto et a entrepris un Tour de France des collèges et des écoles pour y délivrer une théorie de bons comportements sur Internet aux élèves comme à leurs enseignants et leurs parents. L’intention est louable et les retours des participants très positifs si l’on en croit les multiples témoignages de satisfaction de chefs d’établissement sur le site web de l’opération. Sa mission est effectivement salutaire, puisqu’elle se définit ainsi :

« Concernant les collégiens, cette opération a pour but :
– d’aiguiser leur sens critique vis-à-vis de ce média et de ses contenus ;
– d’éveiller leur curiosité afin de diversifier les pratiques d’Internet ;
– de les sensibiliser aux risques encourus et de les aider à développer une démarche “morale et citoyenne”.
Concernant les parents et enseignants, cette opération a pour but :
– de leur présenter les usages des collégiens ;
– de les accompagner, les rassurer et les informer des enjeux et des risques liés à l’utilisation d’Internet ;
– de développer la réflexion autour d’une approche pédagogique complémentaire entre les usages d’Internet au collège et ceux pratiqués à la maison. »

Pour tout cela, Calysto propose une solution « clés en main » d’une journée, au modeste prix de 299 euros, avec, comme au restaurant, deux formules au choix.
« Formule 1: pour voir un maximum de collégiens (Option 1 : Internet ; Option 2 : Le téléphone mobile) :
– 5 fois 1 heure, soit 5 séances “collégiens”. Horaires : 10 h-12 h/14 h-17 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “parents/professeurs”. Horaires : 18 h-19 h 30 ;

Formule 2 : pour une approche approfondie/Internet et le téléphone mobile :
– 3 fois 2 heures, soit 3 séances “collégiens”. Horaires : 8 h-12 h/14 h-16 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “professeurs”. Horaires : 16 h-17 h 30. »

La page d’accueil du site présente une bannière clignotante en gros caractères : « Un élève renvoyé/Propos racistes à l’égard d’un professeur sur un blog/M. Rivoire, le principal du collège, témoigne ». La bannière, cliquable, renvoie sur la rubrique des témoignages, où se déclinent les peurs que suscite Internet, les adultes « dépassés » et l’excellent travail accompli par l’animateur. Rarement les chefs d’établissement interrogés font le lien avec une activité menée par le collège pour donner une suite à l’intervention, par exemple la rédaction d’une charte informatique.

Le soutien du ministère de l’Éducation et de la délégation aux usages d’Internet appuie la crédibilité de ces actions, et les collectivités territoriales ne rechignent pas à leur financement. Le prix à payer reste modeste pour un « clés en main » qui annonce un tel programme, avec un animateur « autonome », qui vient avec son ordinateur et son vidéoprojecteur et remet à chaque élève une brochure reprenant les conseils de l’intervention. En une journée, le « collège-étape » est traité, sans rien avoir à organiser. On laisse ainsi à la « vraie » école, rassurée d’avoir formé les élèves, le temps de s’occuper des choses sérieuses : les programmes disciplinaires.

Les préconisations du socle commun

Pourtant le quatrième pilier du socle commun des connaissances et des compétences (la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication) précise : « Ces techniques [celles de la culture numérique] font souvent l’objet d’un apprentissage empirique hors de l’école. Il appartient néanmoins à celle-ci de faire acquérir à chaque élève un ensemble de compétences lui permettant de les utiliser de façon réfléchie et plus efficace. »

Et il donne un cadre scolaire à cet apprentissage : « Les connaissances et les capacités exigibles pour le B2i collège (Brevet informatique et internet) correspondent au niveau requis pour le socle commun. Elles sont acquises dans le cadre d’activités relevant des différents champs disciplinaires. »

Quant aux attitudes attendues, elles sont énoncées ainsi : « Le développement du goût pour la recherche et les échanges d’informations à des fins éducatives, culturelles, sociales, professionnelles doit s’accompagner d’une attitude responsable – domaine également développé dans la définition du B2i – c’est-à-dire :
– une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible ;
– une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs. »

Elles correspondent aux objectifs que l’intervention de Calysto prétend atteindre en une ou deux heures de travail avec les collégiens.

Information n’est pas enseignement

Or il est clairement impossible, si l’on veut répondre aux préconisations du socle commun, d’espérer régler cette question en la déconnectant de la patiente approche au quotidien de la classe. Impossible aussi d’oublier qu’un enseignement suppose une organisation didactique bien plus différenciée qu’une simple séance d’information. Il s’agit de mettre les élèves dans des situations variées où ils rencontreront des questions, où ils trouveront des réponses parfois contradictoires, où ils devront prendre des positions et les défendre ou apprendre de nouvelles techniques. Sur des questions aussi vives que celles de la culture numérique, il importe que les réponses se construisent patiemment et mettent en avant le débat de société sous-jacent. Si donc une intervention du Tour de France peut être intégrée à cette approche, elle ne peut en aucun cas libérer l’école de son obligation d’un enseignement construit de ces questions, jour après jour au cœur des disciplines.

Quelle place pour l’« éducation à… » ?

C’est bien la même problématique que rencontrent les multiples dispositifs d’« éducation à… » qui frappent aujourd’hui aux portes de l’École. Ils se nomment éducation à la santé, à la citoyenneté, à l’environnement et au développement durable, aux médias, aux risques d’Inter- net, etc. Un certain consensus existe sur le fait qu’il s’agit de répondre à des besoins de savoirs essentiels au citoyen d’aujourd’hui, mais un autre consensus, bien plus coriace, refuse de leur donner une vraie place au sein des sacro- saintes disciplines scolaires. Ils sont pourtant l’occasion de donner une réalité d’aujourd’hui à bien des savoirs de tradition disciplinaire.

On accumule donc, dans les corridors et les placards, diverses « éducations à… », pressantes, qui cherchent leur place dans les interstices scolaires, de préférence auprès des élèves en difficulté. Les autres auraient-ils mieux à faire ? Elles vivent dans les marges du facultatif, de l’option, du club, avec d’ailleurs des résultats fort intéressants pour ceux des élèves qui y participent. Et lorsque l’urgence est là, comme pour ce qui concerne Internet, le sida ou les drogues, lorsque les comportements de mises en danger des élèves sont réels, on se tourne vers la figure de l’intervenant associatif capable de rassurer toute une équipe éducative en une heure d’intervention devant les élèves.

La prestation, souvent de qualité, de ces intervenants peut malheureusement amener à confondre temps d’information et véritable enseignement. En une heure ou deux, avec des élèves qu’il ne reverra jamais, que peut faire d’autre un intervenant que de prendre la posture du « sachant » face à des « non-sachant » qui recevront des réponses calibrées à des questions calibrées, au statut de vérité universelle, quelles que soient la qualité du contact qu’il établit avec les élèves ou l’originalité de sa prestation ? Une telle intervention, si on la souhaite dans son établissement, devrait obligatoirement apparaître comme une ressource parmi d’autres, avec des compléments, des moments où l’on reparle de ce qui a été dit, des moments où l’on vérifie, où l’on expérimente autour de cette parole de l’intervenant.

De la même manière, de plus en plus d’éditeurs fabriquent des outils à destination des élèves et de leurs enseignants pour les guider dans la connaissance des risques ainsi que de leurs droits et devoirs sur Internet. Ces fascicules ou animations didactisés sont disponibles en ligne comme par exemple les Mémotice, ou Internet et moi ou encore les superbes animations Vinz et Lou, etc. Ils constituent des « prêts-à-enseigner » dont l’usage scolaire est à double tranchant. Une ressource documentaire de grande qualité ne remplacera jamais le travail sur la durée au sein de la classe, chaque professeur le sait bien pour tout ce qui relève des contenus traditionnels de sa discipline. Mais dans les domaines des « éducations à… » où les enseignants se sentent mal assurés quant aux savoirs à transmettre, ces « prêts-à-enseigner » risquent de tenir lieu de seul contenu d’enseignement.

Un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire

En revanche, les situations didactiques adaptées, comme une recherche raisonnée sur Internet, un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire, au cours desquelles on n’évacuera pas trop rapidement les questions qui se posent, auront quelques chances d’apporter aux élèves les milieux adaptés pour construire les savoirs dans leur dimension problématique. Il s’agira en effet d’élaborer des réponses à des questions qui se posent vraiment à la classe, en utilisant toutes les ressources possibles, plaquettes éducatives, intervenants extérieurs, ressources en ligne, témoignages, livres et savoirs disciplinaires.

Par exemple, lorsque Christelle Guillot, professeur de français dans un collège de Guérande, propose à ses élèves à la rentrée 2007 d’organiser le travail de la classe autour d’un blog, elle sait qu’elle va rencontrer des situations professionnelles nouvelles liées à la publication en ligne. « En soumettant à la classe et/ou à son enseignante son projet, l’élève doit donc argumenter, prendre des responsabilités vis-à-vis de ce qu’il a produit. Ensuite, il doit accepter la décision de ses pairs et/ou de son enseignante en recevant ou non l’autorisation de diffuser. Le blog devient alors une aventure commune : chacun participe, chacun apporte sa richesse ! »

Mais elle se heurtera aussi, parfois en même temps que ses élèves, à des questions à résoudre sur le droit à l’image, le droit d’auteur, la responsabilité d’un commentaire, les copiés-collés, etc. C’est alors que les ressources diverses, intervenants ou plaquettes, prendront un sens. J’ai plusieurs fois constaté que les seules mises en garde et listes d’interdits diffusées dans les établissements scolaires produisent soit l’ennui, soit le désir de transgresser, voire la peur ou l’effroi des élèves. De ce traitement contre-productif, l’épisode suivant, auquel j’ai moi-même participé en tant qu’intervenante, est une bonne illustration : en mai 2007, dans un collège du Vaucluse, à l’occasion d’une journée d’éducation à la citoyenneté consacrée aux nouveaux médias, des élèves, de la sixième à la troisième, écoutent des intervenants leur commentant les choses à ne pas faire sur Internet, avant de visionner un film sur la cybercriminalité présenté par un gendarme en tenue ; à l’issue de cette journée, les élèves, impressionnés, concluront timidement :

Il faudrait interdire Internet !

Tribune initialement publiée dans les dossiers de l’ingénierie éducative, une publication du Centre national de documentation pédagogique.

Image Flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale Daniel*1977 PaternitéPas d'utilisation commerciale JamesCalder et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Temari 09

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Eaux privatisées: la Bolivie fait barrage http://owni.fr/2011/03/22/eaux-privatisees-la-bolivie-fait-barrage/ http://owni.fr/2011/03/22/eaux-privatisees-la-bolivie-fait-barrage/#comments Tue, 22 Mar 2011 09:00:08 +0000 Virginie Tauzin http://owni.fr/?p=52158

L’eau ne sera jamais une affaire privée, mais bien un service public.

A peine investi président de la République de Bolivie, en janvier 2006, le socialiste Evo Morales créé le ministère de l’Eau sur cette promesse de campagne. Au même moment, le Français Suez-Lyonnaise des eaux négocie son départ du pays, après avoir géré pendant presque 9 ans les eaux de La Paz et de sa banlieue El Alto.

En signe de ralliement du côté des usagers, l’Etat place Abel Mamani, syndicaliste, président de la Fejuve-El Alto (fédération des comités de voisinage de la ville d’El Alto) et meneur de la lutte pour la re-municipalisation, à la tête de ce nouveau ministère.
Après l’énorme révolte de Cochabamba, appelée Guerre de l’eau, en 2000, et celle de La Paz-El Alto, une chose est sûre : la Bolivie n’est pas près de laisser de nouveaux billets étrangers tremper dans ses eaux.

Un premier conflit à Cochabamba : +35% d’augmentation

A la fin des années 1990, la Banque mondiale presse la Bolivie d’ouvrir son marché des eaux aux investisseurs étrangers. But officiel : améliorer la gestion et les services. A l’époque, Samapa est l’entreprise publique chargée du système d’approvisionnement et d’assainissement des eaux de La Paz, capitale économique de 845 000 habitants (en 2006) et de sa banlieue El Alto, qui l’a récemment dépassée en nombre d’habitants, à majorité indigène et pauvre.

Selon Sébastien Hardy, chercheur à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) en Bolivie, la SAMAPA fonctionne alors très mal :

La qualité de l’eau était médiocre, la pression dans le réseau soit trop forte, provoquant des ruptures de canalisations et des dégâts des eaux, soit trop faible, interdisant l’approvisionnement d’une partie des populations situées dans la zone de couverture du service.

La ville cède alors et signe, en 1997, un contrat de 30 ans avec Aguas del Illimani, propriété de Suez-Lyonnaise des eaux.

A Cochabamba, troisième ville du pays, un appel d’offres est lancé en 1999 pour répondre à l’injonction de la Banque mondiale, qui refuse à la Bolivie un allègement de 600 millions de dollars de dette si elle ne privatise pas le système de distribution d’eau de la ville. L’entreprise publique locale, la SEMAPA, n’a de toute façon plus les moyens de prendre en charge une population de plus en plus nombreuse en raison de l’exode rural de la région de l’Altiplano, et cherche des solutions.

Hugo Banzer, alors président du pays et ancien dictateur des années 1970, signe donc, en septembre, le rachat pour quarante ans des eaux de Cochabamba avec Aguas del Tunari, un consortium international contrôlé par la société américaine Bechtel.

Conséquence immédiate : une hausse des tarifs du mètre cube et de celui du raccordement à l’eau potable, causant un bond moyen de 35% sur les factures d’eau. Pour certains abonnés, la flambée atteint même 300% d’augmentation ! Le système de distribution reste médiocre, avec moins d’heures de débit par jour dans plusieurs parties de la ville.

Un raccordement à l’eau ? Trois mois de salaires

En avril 2000, la réaction des Cochabambinos est explosive. Syndicats et habitants excédés descendent dans la rue. Le 8, au terme d’une semaine de blocages et d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui cause notamment la mort d’un manifestant de 17 ans, la firme renonce et réclame 25 millions de dollars pour rupture de contrat et perte sur investissements.
Pour Ramiro Saravia, membre du réseau d’activistes Tinku et acteur de [en] la guerre de l’eau, cet épisode marque un vrai tournant politique :

La guerre de l’eau constitue le début du processus de changement que vit la Bolivie et il y a depuis un esprit de lutte pour défendre les ressources du pays.

Les habitants de l’agglomération de La Paz s’inspirent de ce premier conflit quand ils commencent, en février 2003, à contester les prix pratiqués par Aguas del Illimani. A ce moment-là, le raccordement à l’eau potable est facturé 155 dollars par foyer, soit l’équivalent de trois salaires minimum mensuels.

Début 2005, plusieurs jours de blocage des routes autour de la capitale poussent Suez à se retirer, moyennant là aussi compensation financière, de 5,5 millions de dollars. Les négociations avec le nouveau gouvernement perdurent et c’est en janvier 2007 que le groupe français quitte définitivement la Bolivie. Une société anonyme sous contrôle public est alors créée pour reprendre les eaux de l’agglomération : EPSAS (Entreprise publique et sociale d’eau et d’assainissement).

Pour Franck Poupeau, sociologue et chercheur à l’Institut français des études andines (IFEA) en Bolivie, ce deuxième mouvement est à relativiser :

Avec l’eau, les habitants de La Paz et El Alto voyaient bien les dysfonctionnements, mais la révolte contre la privatisation est autant une affirmation politique,, qu’une revendication d’accès à l’eau.

Le géographe Sébastien Hardy ajoute qu’il ne s’agit pas vraiment d’une bataille idéologique contre la privatisation, mais d’une lutte pour les services urbains :

Ce que les habitants d’El Alto reprochaient à Suez, c’est le coût du raccordement à l’eau potable. Que l’entreprise qui gère le réseau soit publique ou privée n’a pas tellement d’importance à leurs yeux.

Pourcentage de foyers disposant de l'eau potable par canalisation dans l'agglomération de La Paz

“Suez a formé des techniciens compétents”

Maintenant que Cochabamba et La Paz-El Alto ont été rendues au service public, le système fonctionne-t-il mieux ? A Cochabamba, des voix s’élèvent toujours.

Au lendemain de la guerre de l’eau, une majorité d’habitants espérait ne pas laisser l’eau aux instances municipales mais, en vertu du principe selon lequel elle est un bien public, avoir directement sa part dans sa gestion. Selon Ramiro Saravia, l’affaire est aussi liée aux croyances locales :

Les usagers ne sont pas satisfaits du nouveau service car ils ont conscience que l’eau appartient à la Terre-Mère, la Pachamama. Ce que voulait le peuple, c’était réaliser l’autogestion, avec la participation et le contrôle des organisations sociales.

Sans compter que le président Morales a fait inscrire l’eau comme droit humain dans la nouvelle constitution, en 2009, et organisé en avril 2010, dans cette ville symbolique qu’est devenue Cochabamba, un contre-sommet de Copenhague au cours duquel il a demandé à la communauté internationale la reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit fondamental. Ramiro Saravia :

Aujourd’hui Semapa est gérée par de petits groupes d’élus, il n’y a aucune transparence et pas de réelle efficacité. Certains quartiers tentent de résoudre leurs problèmes grâce à des ONG étrangères.

Autre exemple de débrouille : créer son propre système hydraulique. La zone sud de la ville n’est toujours pas raccordée à un réseau d’adduction, privant d’eau potable près de 250 000 habitants. Ici, des familles qui ne peuvent pas payer une centaine de dollars pour une connexion au réseau, se sont rassemblées pour former des comités de l’eau, décidant de mettre leur savoir-faire et leurs économies en commun. Sous de grandes dalles de béton se trouvent des réservoirs remplis chaque jour par des camions-citerne ; l’eau est ensuite acheminée jusqu’aux maisons par des canalisations installées par les habitants eux-mêmes. En 2008, 150 comités de l’eau couvraient la moitié de la population de la zone sud.

Évolution du raccordement au réseau d'assainissement

A La Paz et El Alto, en revanche, si certaines zones ne bénéficient toujours pas d’un service d’accès à l’eau potable ni du tout-à-l’égout, l’arrivée d’Epsas semble avoir apaisé les tensions. “L’amélioration n’est pas tellement frappante, note Franck Poupeau, si ce n’est que les prix du raccordement ont été revus à la baisse.” Ce qui fait la différence, selon lui, c’est la gestion :

Elle est devenue plus sociale, il y a plus d’investissement en faveur des quartiers pauvres.

A cela s’ajoute une reprise en main effectuée dans la continuité : “On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais le côté très positif de Suez, c’est qu’elle a formé les techniciens, qui sont maintenant aussi compétents que ceux d’une entreprise du nord, dit Sébastien Hardy. Techniquement ça fonctionne bien.”

Quel que soit l’état de leur réseau et des services, les villes de Cochabamba et La Paz ne font pas chuter les chiffres nationaux, puisque, selon le ministère de l’Environnement et de l’Eau, la couverture en eau potable en Bolivie croît avec régularité.

Évolution du raccordement au réseau d'eau potable

La privatisation : un accord perdant-perdant ?

Quand bien même un futur gouvernement serait de nouveau tenté par l’expérience de la privatisation, pas sûr que les investisseurs étrangers se bousculent au portillon. En résistant avec autant de force et de détermination, la Bolivie a aussi acquis la réputation d’un pays avec lequel la négociation est ardue. De plus, si Bechtel et Suez-Lyonnaise des eaux ont mis en avant leurs réalisations en faveur de l’amélioration des systèmes de distribution, aucune des deux ne peut assurer y avoir gagné en pariant sur la Bolivie. C’est en tout cas l’analyse de Franck Poupeau :

Suez a fait un effort technologique de réparations et de raccordement considérable dès son arrivée, mais mon hypothèse, c’est que dès l’an 2000, elle s’est rendue compte qu’elle ne pourrait jamais être rentable et a commencé à se désengager.

En effet, les résidents de La Paz et El Alto, des urbains qui n’ont pas de terres à cultiver, consomment très peu d’eau par an. D’autres n’ont même pas les moyens de payer un raccordement. Pour Sébastien Hardy, sans gros investissement de l’Etat, aucune entreprise, privée ou publique, ne peut être rentable. En ce moment, EPSAS raccorde ses usagers à perte. Pas de troisième épisode de la guerre de l’eau en vue, donc. Boliviens et investisseurs sont au moins d’accord sur ce point.


Crédits photos et illustrations:
Carte de La Paz: pourcentage de foyers disposant de l’eau potable par canalisation par ©Sébastien Hardy
Graphiques du Ministère de l’eau et du climat
Via Flickr, 10 years anniversary of Cochabamba water wars by Kris Krüg [cc-by-nc-sa]: photo 1 ; photo 2 ; photo 3

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Image de Une réalisée par Loguy /-)

Retrouvez l’application PRIX DE L’EAU: OPÉRATiON TRANSPARENCE, une enquête collaborative réalisée par OWNI avec la fondation France Libertés et 60 millions de consommateurs.

Retrouvez notre dossier sur l’eau :
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Contre la « démocratie de représentation » parlons vraiment de politique ! http://owni.fr/2010/11/30/contre-la-%c2%ab%c2%a0democratie-de-representation%c2%a0%c2%bb-parlons-vraiment-de-politique/ http://owni.fr/2010/11/30/contre-la-%c2%ab%c2%a0democratie-de-representation%c2%a0%c2%bb-parlons-vraiment-de-politique/#comments Tue, 30 Nov 2010 12:01:55 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=37298 Pour la plupart des gens, la politique, ça se résume à de foutus combats des chefs entre des Sarko-pas-beaux et des Ségolène-la-vilaine que l’on tranche, de temps à autre, d’un négligent bulletin de vote.
Et après, on s’étonne que le petit peuple se désintéresse de la chose publique !

C’est tellement vrai que mon blog, au départ classé dans les blogs politiques, a fini dans les blogs société. Parce que je n’y parle pratiquement jamais des petites manœuvres d’appareils, du jeu de chaises musicales mis en scène par les peoplelitiques, les petites phrases assassines, les grandes stratégies d’accès au pouvoir et sa médiocre réalité quotidienne.

L’actualité politique réduite à des batailles de valets de chambre

Franchement, savoir qui, de la brochette de clowns complaisamment mis en scène depuis des années par des médias serviles, va servir la soupe aux forces de l’argent lors de la prochaine passation de la louche en or, ça intéresse qui ? En quoi les petits soldats de l’économie de marché triomphante et indépassable — que nous sommes tous — sont-ils intéressés par les luttes de pouvoir des laquais des grandes fortunes et des multinationales dont ils reçoivent prébendes et feuilles de route ? Ce n’est pas comme si nous avions le choix de notre société, le choix de notre mode de vie, le choix du monde que nous voulons laisser à nos enfants, le choix du monde que nous voulons ici et maintenant. Sur ces questions centrales, les espaces de discussion et d’information que sont censément les médias ne s’arrêtent pratiquement jamais.

Parce que ces questions-là, c’est l’affaire des experts et des professionnels de la chose publique. Pas du petit peuple. Lequel doit surtout s’intéresser à quelques petites choses essentielles pour la bonne marche du monde tel qu’il est : trimer comme des bœufs, consommer comme des porcs et voter comme des moutons quand on lui intime l’ordre de le faire et pour les bonnes personnes, de préférence.
En fait de démocratie représentative, nous sommes passés à une démocratie de représentation, dans le sens théâtral du mot.

La scène politique nous sert le spectacle des turpitudes de son petit personnel, un peu comme la mythologie grecque occupait la plèbe avec les drames et les passions qui déchiraient l’Olympe. Et les grands prêtres de l’info, dépendants de cette théâtralisation de la vie publique, amplifient à dessein la dramaturgie politique, se font les caisses de résonance des petites phrases creuses et des basses manœuvres des acteurs de la vie publique et médiatique. D’où l’importance du tapage autour des questions d’appareils ou du monologue du nabot.

Allez chez H&M ou prendre sa bagnole : des actes politiques

Comment s’intéresser encore aux discours, alors qu’ils sont probablement l’aspect à la fois le plus vain et le plus édifiant de la peoplelitique ? Sarko parle, parle, parle. Il raconte des choses, en promet d’autres, mais finalement, que reste-t-il de tout ce bruit de fond informe ? Ces actions. Et il y a loin des promesses aux réalisations concrètes. Parce que c’est ça, la politique : du concret, chaque jour, dans nos vies. Sarko et ses petits copains peuvent bien raconter ce qu’ils veulent : nous sommes en mesure de voir quels sont leurs actions, leurs décisions et leurs résultats. Et nous voyons que le programme politique qu’ils suivent est bien loin de celui qu’ils nous vendent chaque jour. Parce qu’il faut bien appâter le chaland pour continuer les petites affaires entre amis.

J’entends souvent des gens qui m’assurent, la main sur le cœur, comme un gage de bonne santé mentale, que la politique ne les intéresse pas du tout. Ce à quoi je réponds toujours doctement :

Si tu ne t’intéresses pas à la politique, elle, elle s’intéresse toujours à toi.

Se lever tôt est déjà un acte politique. Ce que l’on mange est politique : malbouffe industrielle, produits de saison, cuisiné main ? Quand on s’habille : chez H&M ou une boutique de quartier, et est-ce que j’ai vraiment besoin de ce manteau en plus ou de cette paire de pompes ? Quand on se déplace : ai-je besoin de la voiture pour faire 100 mètres ou est-ce que je peux tolérer de prendre la pluie sur mon visage, quel est le moyen de transport le plus efficace, est-ce que j’ai vraiment besoin de faire ce trajet ou est-ce que je peux faire autrement ?

Même la taille des poils de cul est une affaire politique, comme chaque moment de notre vie, chaque décision de nous prenons ou que nous laissons d’autres prendre pour nous. Est-ce que je vais faire des gosses ? Dans ce monde, dans cette société ? Est-ce que je vais bâtir un foyer, un empire, des châteaux en Espagne ? Est-ce que je traite convenablement chaque personne que je côtoie dans la journée : la caissière, le facteur, le passant, l’autre connard qui conduit si mal ? Est-ce que je consacre mon temps aux choses vraiment importantes ou est-ce que je le gaspille ? Pourquoi n’ai-je pas encore benné la télé et bêché mon jardin ?

Qu’est-ce qui aura le plus de sens dans mon rapport au monde : glisser un bout de papier dans l’urne de temps à autre et laisser d’autres vaquer aux affaires collectives, en râlant abondamment au bistrot du commerce contre leurs petites inaptitudes ou grandes trahisons ou sortir de chez moi, de mon petit confort égoïste et planter allègrement les deux mains dans la merde du monde qui vit, qui bouge et qui évolue ?

Refuser la compétitivité comme seul projet de société

La politique, c’est l’action citoyenne, chaque jour, tout le temps. C’est la politique qui a imprégné chacun de nos pas ces derniers mois, pendant que nous exprimions dans la rue notre profond rejet du théâtre des Guignols et de leurs mensonges répétés. C’est la politique qui conditionne forcément le monde dans lequel nous vivons, parce que c’est le politique, le lieu de la décision et de l’action et nulle part ailleurs.

Aujourd’hui, l’essentiel de la force politique dans laquelle nous sommes englués est utilisée à nous convaincre de notre impuissance en tant que citoyen et de la nécessité indépassable de nous soumettre à la loi du Marché. Santé, travail, éducation, vieillesse, tout ne peut plus se penser que comme des activités que l’on doit absolument rentabiliser ou alors réduire à leur plus simple expression, parce que nous devons être COM-PÉ-TI-T-IFS. Cela est notre seul et unique projet de société. Et quels que soient les partis en présence, les conflits de personnes, de structures, ce modèle de société n’est jamais, jamais remis en question. La politique-spectacle devient alors le lieu de la soumission et la seule action autorisée est celle qui permet la soumission de tous à ce modèle-là.

Sans autre forme de discussion.

Nous pouvons pérorer sans fin sur les qualités et défauts supposés de tel ou tel personnage de la commedia della politica, commenter les paroles de l’un, les vêtements de l’autre, nous extasier ou nous indigner des manœuvres de tout ce petit monde pour approcher sa chaise de la table du banquet, tant que nous ne nous mettons pas en tête de vouloir entrer dans l’action, de critiquer la structure même du pouvoir, la manière dont on y accède et ses objectifs réels. La polémique stérile : oui ! La remise en question et la refondation de notre modèle de société : non !

La seule realpolitik que je reconnaisse, c’est celle qui implique l’ensemble des citoyens. C’est celle qui use les semelles, qui bouscule les idées, qui pense des lendemains qui chantent et qui expérimente de nouvelles manières d’y arriver. C’est celle qui se construit jour après jour, même si on n’est jamais, au départ, que trois gus dans un garage.

Bienvenue dans la vita activa.

Billet initialement publié sur le blog de Monolecte sous le titre Politics.

Photo FlickR CC Mark Kobayashi-Hillary ; University of Washington Libraries Digital Collections ; mtsofan.

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SNCF, La Poste… silence, on privatise ! http://owni.fr/2010/11/26/sncf-la-poste-silence-on-privatise/ http://owni.fr/2010/11/26/sncf-la-poste-silence-on-privatise/#comments Fri, 26 Nov 2010 11:34:35 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37041 L’opérateur IDTGV fait tourner ses boules antistress dans la paume droite pour se calmer les nerfs, clique, répond à un nouvel appel dans son micro-casque : « vous n’existez pas à la SNCF ! » Bienvenue dans les chemins de fer français nouvelle formule : ouverts en 2007 à la concurrence pour le fret, depuis 2010 pour les voyageurs, les employés de la SNCF sont désormais rejoints par d’autres structures qui partagent leurs rails, vendent les mêmes billets… Mais ont substitué à la culture de service public des objectifs de rentabilité. Au sein même de la vieille maison ferroviaire, les centaines de milliers d’agents voient leur cohésion remise en cause, arbitrairement, pour préparer une division des tâches, afin que chacune d’elle puisse être mise en concurrence.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un démembrement dont Luc Joulé et Sébastien Jousse ont filmé les conséquences néfastes en région Provence Alpes-Côtes d’Azur dans leur documentaire sorti le 17 novembre, Cheminots.

La mort du lien entre métier et service public

Face aux panneaux recouverts de guirlandes de boutons lumineux articulés d’aiguillages, deux hommes vont et viennent depuis leurs écrans de contrôle et la baie vitrée qui donne sur les rails ensoleillés de la Provence. Ils font le même métier mais ont été séparés arbitrairement : l’un gère le fret, l’autre, « l’infra » (pour infrastructure). Un des exemples de l’absurdité des fractionnements imposés par la direction : dans ce même bureau, ces deux agents doivent gérer les mêmes rails mais en ne regardant que leur moitié des trains.

Solidaires, les cheminots observés deux ans durant par les réalisateurs ne se révèlent que dans leurs gestes précis d’artisans des moteurs aux gros cylindres en aorte qu’ils réparent en silence dans des ateliers monumentaux. La peur et l’inquiétude les empêche de parler, « on n’arrive pas l’exprimer » répètent-ils, des quais de la gare de Marseille aux PC d’aiguillage. Ce n’est pas tant leur petite histoire à eux qui les intéresse, c’est plutôt celle d’un idéal de service public, d’une exigence : « avant, si la loco n’était pas prête, on la laissait pas partir, pour des raisons de sécurité, raconte avec les mains un retraité des ateliers d’Arles. Mais ça s’est perdu ça. »

Perdu ? Pas vraiment. Plutôt dilué dans les exigences nouvelles de la direction : « on voit les machines moins souvent », raconte un mécanicien avec affection et inquiétude. Sa pire hantise, c’est l’accident, le déraillement pour une motrice mal révisée… Sans même parler de l’impératif de sécurité, le service lui-même en prend un coup : au montage des trains, des secteurs ont été définis in abstracto, plus question de prendre une voiture à la volée pour combler un vide, alors que « avant, on ne se posait même pas la question, avoue un responsable de l’assemblage. Maintenant, on se les vend [les voitures, wagons et motrices, NdR], on se les loue, ou se les sous-loue ».

Par des situations de tension, que seuls portent les visages de leurs acteurs, Cheminots montre un paradoxe invisible au grand public : nombre d’incidents mis sur le compte de la paresse des agents de la SNCF sont le fruit des mesures préalables à la privatisation que certains usagers espèrent pour améliorer le service. Entre les plaintes et la pression de la direction, les agents se démènent : ce corps qui faisait un tout par ses veines et ses navettes est désormais un étrange labyrinthe où ils continuent d’essayer de guider les voyageurs. Et souffre de mal faire.

Quelques désobéissances au milieu de la résignation

Une cohésion, une camaraderie ouvrière reste vivante : on se salue au passage, on s’entraide entre générations… Même si un jeune gars des ateliers des motrices confie que « la direction essaie de me dissuader de parler avec les plus vieux… mais comment je vais apprendre le métier si ce n’est pas avec leur savoir ? » Sur les quais, c’est une autre affaire : les gens qui vendent les billets ne saluent plus les gens de l’accueil, parfois, les agents en gare, même couleur de casquette, même sifflet au cou, ne savent pas le nom de leur collègue, de l’autre côté de la plate-forme. IDTGV, SNCF, Artesia…Ils cohabitent déjà : la privatisation se fond dans les couleurs du service public.

Dans le fret, les locos Veolia sont déjà sur les rails, arrivent « comme des trains fantômes » conduits par des agents du privé qui ne connaissent pas les codes et ne savent pas répondre aux questions des aiguilleurs… Certains craignent les incidents. D’autres savent qu’il y en a déjà eu. Invités par les réalisateurs dans une salle de repos pour regarder le film de Ken Loach, The Navigators, racontant la privatisation du chemin de fer britannique, une équipe salue d’un silence les images. « on refuse d’y croire », lâche l’un d’eux. Mails ils relèvent dans les détails de cette fiction leur présent, comme si l’image seule réussissait à retranscrire leur malaise.

Leur rage est toute entière dans leur silence. Face à Raymond Aubrac, un cheminot bourru lance comme en colère :

« il faut attendre que les gens souffrent pour qu’ils bougent.
-Mais parfois, il faut peut-être leur dire qu’ils souffrent, parce qu’ils ne s’en rendent pas compte ! » Corrige le résistant.

Les résistances, il y en a, marginales mais humaines. Surfinancés par rapport aux TER, les TGV ne doivent souffrir aucun retard aux yeux de la SNCF… Mais quand des petites lignes traînent, certains agents en gare bravent l’interdiction pour éviter aux usagers de louper leur train. Des désobéissances au joli nom de « correspondances sauvages » que la direction n’a pour le moment jamais sanctionné. « Quand chacun des cheminots travaillera pour TER, VFE, ou peut-être Air France ou peut-être Virgin… les choses seront encre pires, s’inquiète le désobéissant. Parce qu’on travaillera plus pour le même prestataire de service et on n’aura même plus besoin d’échanger. »

A deux pas de la gare Saint Lazare, nous avons rencontré Sébastien Jousse, un des deux non-cheminots auteur de ce film.

Les cheminots que vous filmez ont beaucoup de mal à parler de la privatisation elle-même, comme si c’était un secret de famille qui charriait une culpabilité. Comment expliquez-vous cette pudeur ?

Il y a une sorte de pudeur familiale, qui est d’autant plus forte que la direction elle-même fait pression sur les cheminots pour qu’ils n’abordent pas le sujet entre eux. De façon générale, la SNCF est un outil qui supporte mal la partition : il y a une notion de coresponsabilité qui a été mise en place par la société de façon quasi militaire et qu’elle démantèle maintenant. L’homogénéité de ce réseau a été remis en cause par cette séparation : ce n’est pas que les agents travaillent plus, c’est qu’ils sont obligés de travailler moins bien. Et ça les ronge de l’intérieur, ils sont paralysés.

Malgré cette crainte, les cheminots expriment une conscience ouvrière forte, une cohésion. Pensez-vous qu’elle puisse disparaître ?

Les cheminots ne savent plus comment exprimer leur rôle social : il y a une culture d’entreprise qui a été jusqu’ici un ciment dans cette entreprise et que la direction perçoit désormais comme un frein au changement. Les cheminots ont une identité très fibrée et ça fait partie de choses que nous avons voulu filmer : ce lien entre le travail et l’identité, ce moment où le boulot « fait société » et commence à être plus qu’une façon de gagner sa vie.

Or, il y a comme une ambition des boîtes de briser ce lien en cassant les métiers pour isoler les gens et les rendre malléable.

Depuis qu’on demande aux commerciaux de remplir des reporting, ils ont moins de temps pour se concentrer sur ce qui est le coeur de leur métier : nouer des contacts avec les usagers pour les connaître et mieux les aider.

Qu’avez-vous voulu exprimer dans le premier plan où vous projetez le film des Frères Lumières « arrivée en gare de La Ciotat » dans cette même gare au XXIe siècle, où rentre un TER dans lequel ne montent que deux usagers ?

Dans le film des Lumières, l’arrivée du train anime le quai, il y a des dizaines de personnes qui montent et descendent… Le train anime la société, il la fait bouger : on ne mesure pas notre dépendance vis-à-vis du train, notamment quand il y a des grèves, les gens ont tendance à dire que les trains sont une affaire de cheminot alors qu’ils créent le lien et structurent le territoire. Les trains font société.

Les gens ont tendance à dire que les trains sont une affaire de cheminot alors qu’ils créent le lien et structurent le territoire. Les trains font société.

Et, en regard, ce TER où ne monte que deux personnes feraient hurler n’importe quel responsable politique qui dirait que « ce n’est pas rentable » un train qui ne s’arrête que pour deux voyageurs. Or, c’est exactement le contraire : c’est ça le service public ! La rentabilité ne dicte rien à la société qui peut, du coup, se mettre vraiment au service des usagers. A la City, j’ai rencontré des patrons de société financières qui se plaignaient de la privatisation qu’ils avaient pourtant défendus car la dégradation du service empêchait leurs salariés d’aller au boulot !

Votre film critique ouvertement les décisions de la direction préparant à la mise en concurrence. Avez-vous eu des problèmes avec la SNCF ?

Au départ, c’est le comité d’entreprise des cheminots de Paca qui nous a demandé de faire cette résidence artistique, le projet est né au bout de deux ans : nous n’avions eu aucun problème pour tourner, la direction régionale était habituée et un refus aurait posé des gros problèmes avec la représentation syndicale, surtout dans ce coin. Quand nous avons vraiment cerné notre sujet, nous avons eu besoin d’autorisations nationales pour des tournages qui nécessitaient de passer par la communication du groupe. Et là, nous avons essuyé un refus.

Photo FlickR CC No life before coffee ; Michel Molinari ; Giorgio Raffaelli ; Portitzer.

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Démolition programmée du service public à La Poste http://owni.fr/2010/11/26/demolition-programmee-du-service-public-a-la-poste/ http://owni.fr/2010/11/26/demolition-programmee-du-service-public-a-la-poste/#comments Fri, 26 Nov 2010 09:15:46 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=37022

Le Monde de ce matin titre doctement sur le nouveau plan stratégique de La Poste qui, Ô surprise, s’apprête à réduire encore plus sa masse salariale pour, soi-disant, s’adapter à l’érosion de l’activité courrier tout en conservant une belle courbe turgescente de rentabilité.

Ce que ce papier sans mise en perspective ne dit pas, c’est :

  • que depuis quelques années, les effectifs ayant déjà fondus, les postiers survivants ont des tournées de plus en plus longues, avec de plus en plus de foyers à couvrir chacun. Il n’est plus rare qu’un postier finisse sa tournée en dehors de ses heures de service. Les tournées sont calculées avec un chronomètre à la main et ne tiennent pas compte des contraintes de circulations ou des montées en charges régulières de l’activité courrier (impôts, catalogues saisonniers, etc.)
  • que depuis quelques années aussi, le gros des recrutements se fait en contrats de droit privé ultraprécaires, avec des salaires au plancher et des salariés au sifflet que l’on prend, que l’on jette, pendant des années, avec des sous-statuts et des sous-conditions de travail.
  • que la poursuite de la réduction des effectifs ne pourra se faire qu’avec la réduction programmée du service rendu, la notion de service public passant largement à la trappe.
  • Déjà, le projet de ne plus distribuer le courrier des particuliers le lundi est dans les cartons depuis un petit moment, en attendant que le public soit pédagogiquement prêt à accepter une fois de plus de payer toujours un peu plus cher un service toujours un peu plus dégradé.

De la même manière, les effectifs étant gérés en flux tendu, les absences, que ce soit des congés ou des maladies, entraînent régulièrement des dysfonctionnements de service sur lesquels La Poste reste d’une discrétion exemplaire. Les postiers volants (ceux qui n’ont pas de tournée affectée) sont le plus souvent des précaires qui connaissent peu ou mal leurs secteurs : temps de tri augmenté de manière exponentielle et temps de tournée hors limite.

Mais comme même les volants viennent régulièrement à manquer, une tournée vacante est :

  • soit partagée entre deux autres tournées, ce qui augmente la charge de travail des postiers survivants et rallonge le temps de distribution sans compensation,
  • soit tout simplement délestée.

Bien sûr, La Poste nie toute pratique de délestage des tournées, mais dans les faits et les cambrousses, il y a des jours où la petite voiture jaune est aux abonnés absents.

Boîtes aux lettres uniques pour service ultra-minimum

Face à l’explosion de l’habitat péri-rurbain qui augmente significativement les points de tournées et le nombre de foyers par tournée, les nouveaux foyers en lotissement ne sont plus desservis, mais les boîtes sont regroupées à l’entrée du lotissement. Donc, plus de ports de recommandés et de colis : services disparus sans compensation financière.

Et surtout, le modèle à l’espagnole nous guette, avec regroupement des boîtes des petits villages à la mairie, avant de passer directement à la fin de la desserte du dit village, avec boîtes postales obligatoires dans quelques centres de tri cantonaux.

Résultat intéressant de cette stratégie de démolition programmée du service courrier : non seulement, on crée des chômeurs avec un enthousiasme qui ne s’érode jamais, non seulement on ruine la notion de service public sans aucun bénéfice pour l’usager, mais surtout, on crée un gaspillage et de la pollution à tire-larigot, parce que la simple perspective de la rentabilité immédiate ne se préoccupe jamais des conséquences collectives de ses choix.

Si l’on suit la logique stratégique postale jusqu’au bout, d’ici très peu de temps, là où un gus salarié desservait 200 foyers avec une seule voiture, il y aura bientôt un chômeur de plus et 200 péquins qui prendront chacun leur caisse chaque jour pour aller chercher le courrier au bourg à 10 ou 20 bornes de là.

On n’arrête vraiment pas le progrès !

Billet initialement publié sur le blog Monolecte sous le titre La Poste s’assoit sur le service public.

Image CC Flickr coincoyote et claytron

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[interview] Le juteux business des prisons http://owni.fr/2010/11/23/interview-le-juteux-business-des-prisons/ http://owni.fr/2010/11/23/interview-le-juteux-business-des-prisons/#comments Tue, 23 Nov 2010 14:51:55 +0000 David Dufresne | davduf http://owni.fr/?p=36708 Gonzague Rambaud, journaliste indépendant, est co-auteur du livre Le Travail en prison. Enquête sur le business carcéral (Autrement, 2010). Il revient ici sur les non dits d’un secteur florissant. Où les sommes sont astronomiques, les à côtés peu reluisants et l’indifférence quasi totale.

Commençons par le commencement… les prisons semi privées en France, combien de divisions ?

La privatisation des prisons s’accélère et s’impose désormais comme le système économique privilégié pour administrer les geôles françaises. Une cinquantaine d’établissements pénitentiaires sur 197 fonctionnent aujourd’hui sur le modèle de la « gestion mixte ». Désormais, toutes les prisons qui sortiront de terre seront gérées en grande partie par des entreprises privées. Ainsi, hormis les fonctions régaliennes (direction, surveillance, greffe), le privé s’occupe de tout. Soit : la maintenance, l’entretien, la fourniture des fluides et des énergies, la restauration, l’hôtellerie, la buanderie, la « cantine », le transport, l’accueil des familles, la formation professionnelle et le travail des détenus.

En quoi les prisons privées sont-elles profitables aux grands groupes comme Gepsa (filiale de GDF-Suez) ou Siges (filiale de Sodexo). Autrement dit, comme ces consortiums gagnent-ils de l’argent avec les prisons ?

Un juteux business pour GDF-Suez et Sodexo, qui se partagent âprement ce marché depuis plus de vingt ans. Lors des derniers contrats, signés en novembre 2009, Sodexo a remporté la gestion de 27 nouvelles prisons, en plus des 9 établissements acquis lors des appels d’offres précédents. Un contrat de « quasiment un milliard d’euros » pour une période de huit ans, a indiqué Michel Landel, directeur général de Sodexo, lors de la présentation des résultats du groupe le 10 novembre 2009. La Chancellerie devient ainsi le premier client français de Sodexo ! En remportant un lot de six prisons, GDF-Suez devra se contenter d’un « petit » contrat global d’un montant de 22 235 760 euros. En 2007, lors des précédents contrats, la filiale de GDF-Suez affichait une santé financière insolente au point de reverser à ses actionnaires un dividende de 2,9 millions soit… 100 % du résultat net.

Un marché sur lequel surfe désormais le groupe Bouygues…

Marchant sur les traces de son mentor Albin Chalandon – garde des sceaux sous la première cohabitation (1986-1988) et initiateur des premiers contrats de gestion mixte en prison – Rachida Dati a signé le 19 février 2008, un partenariat public-privé (PPP) avec Bouygues Construction, chargé de concevoir, réaliser, financer, entretenir et gérer trois nouvelles prisons  (la maison d’arrêt de Nantes : 570 places, le centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin : 688 places et le centre pénitentiaire de Réau en Île-de-France : 798 places) livrées d’ici à 2011. Ce contrat représente un loyer annuel de 48 millions d’euros pour les trois établissements, soit une valeur totale de 1,8 milliard d’euros pour une durée de contrat de 27 ans. Par ailleurs, notre livre révèle que depuis mars 2008, au centre pénitentiaire de Rennes, douze femmes détenues travaillent pour l’opérateur de téléphonie Bouygues Télécom…

Et l’État ? Quel est son intérêt financier dans cette collaboration avec le privé ? On sait, par exemple, qu’aux États-Unis, le  coût d’un prisonnier placé dans le secteur privé revient sur la durée plus cher qu’un prisonnier dans le public. Quels arguments l’État français use-t-il pour (se) convaincre du bien fondé de la privatisation ?

Le 19 février 2008, lors de la signature du contrat avec Bouygues, Rachida Dati, alors ministre de la Justice, déclarait que le partenariat public privé avait pour but de « diminuer le coût global, parce que le partenaire optimise toute la chaîne, depuis la conception jusqu’à l’exploitation », arguant que le ministère de la Justice confie « au secteur privé des responsabilités qu’il sait parfaitement assumer ». Un avis que ne partage pas la Cour des comptes : « Force est de constater que ce choix stratégique [de la gestion déléguée NDLR] n’a reposé ni sur des critères de coût ni sur l’appréciation effective des performances, alors qu’il engage durablement les finances publiques », lit-on dans un rapport publié en 2006.

Si les Sages de la rue Cambon ont reconnu que la gestion mixte était un peu « mieux contrôlée », ils épinglent – à nouveau – l’absence d’échelle de comparaison entre la gestion semi privée et la gestion publique, dans un rapport de juillet 2010. Ainsi, la Cour des comptes, préconise « d’élaborer une méthode fiable de comparaison entre la gestion déléguée et la gestion publique, en intégrant des indicateurs de coûts mais également de qualité de service ». En clair, rien ne prouve aujourd’hui que ce mode de gestion soit plus rentable pour l’Etat. En revanche, le PPP signé avec Bouygues permet à l’État de pas contracter de dette visible puisque c’est l’entreprise privée qui supporte le poids financier de l’investissement. Le coût des constructions de prisons n’apparait pas immédiatement, mais l’État paye toutefois un (onéreux) loyer durant près de 30 ans.

À vous lire, la gauche comme la droite sont plutôt sur la même longueur d’ondes à propos des partenariats publics/privés et ce malgré des rapports accablants dont vous venez de parlez… Comment expliquez-vous ce consensus: pour des raisons économiques (les prisons coûtent cher), par indifférence générale (qui se soucie des prisons ?), pour une autre raison ?

La privatisation des prisons s’ouvre avec la loi pénitentiaire du 22 juin 1987, initiée par Albin Chalandon. Les premiers contrats ont été signés en 1989, ils ont ensuite été reconduits en en 1997, 2002 puis 2009. Certes, le gouvernement de Lionel Jospin ne s’est pas opposé, entre 1997 et 2002, à ce mode de gestion. Toutefois, à propos des partenariats publics privés, qui englobent notamment la conception, le financement, et la réalisation – compétences qui n’apparaissent pas dans les contrats dits de « gestion mixte » signés par Sodexo et GDF-Suez notamment – Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux de Lionel Jospin, est très sévère. Interviewée dans notre livre, elle fustige le procédé en ces termes : « Quand on a un loyer de 27 ans, on a une dette, donc, je crois qu’on joue sur une nomenclature budgétaire pour avoir une dette moins forte. Mais en fait, c’est la même chose. D’autre part, la prestation ne peut que coûter plus cher. Quand vous rémunérez un capital en plus, ça vous coûtera plus cher. Il n’y a donc pas de gain sur les finances publiques dans un PPP. »

On sait qu’il existe un risque de collusion entre la politique pénale d’un pays et les intérêts économiques de certains acteurs des prisons privées. Aux États-Unis, plusieurs leaders du secteur dépensent ainsi des millions de dollars pour un durcissement des peines. Des juges de Pennsylvanie ont même reconnu avoir perçu des pots de vins pour envoyer des gamins en taule. En France, quels sont les risques ?

Le cas de ces deux magistrats américains qui ont reconnu avoir envoyé des centaines d’enfants et d’adolescents en prison entre 2000 et 2007, en échange de 2,6 millions de dollars de pots-de-vin, payés par les deux entreprises gérant des centres de détention, n’a heureusement pas son équivalent en France. Toutefois, la réalité économique oblige à souligner que les bénéfices des gestionnaires privés de prisons françaises gonflent… à mesure que les prisons se remplissent.  Astucieusement, les entreprises privées infligent au ministère de la Justice des pénalités lorsque le taux d’occupation des prisons co-gérées dépasse 120 %, un taux facilement atteint en maison d’arrêt notamment. Alors que la population écrouée a augmenté de pratiquement 50 % entre 2001 et aujourd’hui, le durcissement de la politique pénale pourrait bien arranger les affaires des gestionnaires privés.

Plusieurs prisons semi-privées sorties de terre récemment en France ont connu des problèmes de conception (système défectueux de serrures ou de réseau électrique à la centrale de Mont-de-Marsan). Pour certains, les exigences de rentabilité des entreprises privées sont incompatibles avec les besoins de qualité. Qu’en pensez-vous ?

Inauguré le 19 janvier 2009 par Rachida Dati et le Premier ministre François Fillon, le centre de détention de Roanne, conçu, construit et financé par Eiffage, a souffert de graves malfaçons à sa livraison : des serrures électriques extérieures qui ne fonctionnent pas, des infiltrations d’eau, des murs fendillés, des grilles de cour de promenade trop courtes, etc. Cette longue liste rappelle les déboires de la prison de Mont-de-Marsan. Construit par Bouygues et inauguré le 20 novembre 2008, ce centre pénitentiaire avait été plongé dans le noir, trois semaines après son ouverture, à la suite d’une panne générale d’électricité, qui avait conduit à évacuer les 87 détenus de cette prison (presque) rutilante, livrée à l’heure et dans des temps record.

Pour éviter les lourdes pénalités financières en cas de délais de livraison non satisfaits, ces groupes de BTP (Eiffage, Quille et Bouygues Construction) confondent vitesse et précipitation. Pour des questions de rentabilité, les entreprises privées respectent le cahier des charges au minimum. Raison pour laquelle la Cour des comptes, dans son un rapport de juillet 2010, recommande d’élaborer une méthode fiable de comparaison entre la gestion déléguée et la gestion publique, « en intégrant des indicateurs de coûts mais également de qualité de service ».

Comment voyez-vous le fait que l’État français se réserve ses fonctions régaliennes (à savoir la direction des prisons, la surveillance des détenus, et le greffe)? Est-ce le moindre des garde fous ou un simple cache sexe d’un marché qui ne dit pas son nom ?

Je ne pense pas que cela soit un « cache sexe », c’est plutôt un garde-fou qui ne sera pas levé de sitôt. Privatiser, par exemple, les fonctions de surveillance et de direction serait très mal perçu et serait difficile à faire passer à l’Assemblée Nationale et au Sénat, et dans une grande partie de l’opinion. Des surveillants armés et salariés d’un groupe privé de surveillance ? Ce n’est pas pour tout de suite, à mon avis.

Dans votre livre, vous dressez un constat sévère: « côté détenus, la plus-value en termes de travail et de formation professionnelle se perçoit difficilement [...] : l’offre de travail qualifiant, le nombre et la qualité des formations professionnelles fait tout autant défaut dans les prisons privées [que publiques] » Pouvez-vous en dire plus ?

Je fais ici allusion au travail et à la formation professionnelle des détenus, deux compétences déléguées aux entreprises privées, filiales de Sodexo, GDF-Suez, Bouygues, etc, dans les prisons semi-privatisées. Le travailleur-détenu évolue dans une zone de non droit dont la pierre angulaire se niche dans l’article 717-3 du code de procédure pénale. Lequel souligne expressément que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » dans l’enceinte d’une prison. De fait, tous les droits attachés au contrat de travail disparaissent : pas de SMIC, pas d’indemnités chômage, de maladie ou d’accident du travail, pas de congés payés, ni de droit syndical. Un système totalement dérogatoire au droit commun qui permet aux entreprises de s’implanter en prison à moindre frais.

Pour des raisons d’image notamment, les entreprises privées, que nous citons dans le livre (EADS, BIC, Renault, Agnès B, Orange, Bouygues Telecom, etc.), s’abritent derrière une kyrielle de sous-traitants. Bien que le travail soit rémunéré, en moyenne, 3 euros brut de l’heure, en prison, l’offre est inférieure à la demande. Or, la gestion mixte devait en théorie favoriser la venue de donneurs d’ordre en prison, au prétexte que les groupements privés gestionnaires de prisons seraient de meilleurs interlocuteurs que l’administration pénitentiaire. Or, il n’en est rien. Les postes de travail font autant défaut dans les prisons publiques que dans les prisons semi-privées, durement frappées par la crise économique, notamment en raison de la désertion des sous-traitant automobiles, une des branches professionnelles les mieux implantés dans les ateliers pénitentiaires.

Crédits photo cc FlickR : Mark Strozier, Funky64 (www.lucarossato.com), Max Sparber.

David Dufresne est auteur et co-réalisateur du webdocumntaire Prison Valley.

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