Photoshop et la BD

Le 27 février 2010

Nord, Nord-Est est une bande dessinée née de la collaboration entre Thomas Gabison, scénariste, et Gilles Tévessin, illustrateur. Les auteurs expliquent comment ils conçoivent les images, à l'aide de la photographie et de Photoshop.

Nord, Nord-Est est une bande dessinée née de la collaboration entre Thomas Gabison, scénariste, et Gilles Tévessin, illustrateur, et qui paraîtra en avril 2010 chez Actes Sud. L’histoire est celle d’une femme originaire de la campagne en virée pour une courte durée à Paris, où son petit-fils habite, et où les deux rencontreront un groupe d’amis de proche banlieue. À l’occasion d’une interview, Thomas et Gilles m’ont expliqué la façon dont les images de la BD sont conçues : « D’abord, nous prenons des photographies en numérique, qu’ensuite Gilles retraduit en dessins », dit Thomas ; « les photographies nous permettent d’avoir de nouvelles idées et d’aller au-delà des stéréotypes qui ramèneraient à des images trop banales ». Gilles m’expliquera plus tard qu’une mise en scène est nécessaire pour que les photos soient efficaces, surtout en ce qui concerne les gestes des personnages.

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Le support pour les dessins de Gilles est Photoshop, qui permet de dessiner directement sur les photographies en utilisant les calques et surtout une tablette graphique. Sur Photoshop, la forme du pinceau peut être réglée afin d’avoir différents rendus selon la pression ou l’inclinaison du stylet, de façon à simuler l’usage du crayon sur le papier. La technique de Gilles, c’est de retraduire les différentes zones de la photographie en plusieurs aplats colorés ; les objets du fond restent sans contours, alors que les personnages sont délimités par des traits noirs.

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Le résultat est naturellement loin de l’image photographique de départ, mais ce qui est intéressant, c’est que certains effets photographiques sont conservés, comme des jeux d’ombres et de lumières, des cadrages qui “coupent” les personnages ou certains bougés typiques de l’image photographique. Ces effets se retrouvent surtout dans des scènes nocturnes, puisque ils retraduisent le rendu de la photographie de nuit, et notamment les formes allongées et floues des lumières (dues à un long temps de pose, nécessaire avec une faible luminosité), ou des images très sombres avec seulement quelques points de lumière (dues au fait que la latitude d’exposition de l’appareil, c’est-à-dire la faculté à restituer une plage de luminosité sans sous-exposer ou surexposer des zones très contrastées, est beaucoup plus faible par rapport à celle de l’œil humain).

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Gilles m’explique que, parmi toutes les techniques qu’il a expérimentées, celle-ci est celle avec laquelle il arrive le mieux à donner un « caractère physique » à ses personnages et à son histoire, et à les faire en quelque sorte « être là » : « Avant, je dessinais tous les objets du décor séparément et, après, je les rassemblais en faisant un collage, mais le résultat n’était pas crédible, ça ne se tenait pas ». Dans ce cas, Photoshop sert donc de support pour passer d’une photographie au dessin, et c’est justement la proximité entre ces deux « systèmes » d’images qui permet de conserver une perspective unifiée pour le décor et les personnages.

Cette technique peut être vue comme le correspondant pour l’image fixe de ce qu’est la « rotoscopie » pour l’image animée, un procédé qui consiste à transformer un film en dessin animé. La rotoscopie n’est pas une nouvelle technique (elle a été inventée en 1914 et utilisée plusieurs fois par Disney); cependant, de nouveaux styles sont issus des plus récents moyens d’« abstraction photographique », et notamment du logiciel Rotoshop (dont le nom rappelle expressément celui de Photoshop), qui permet l’« interpolation » des images en mouvement et le « freezing » pour figer les décors, et qui a été utilisé pour les films Waking Life (2001) et A Scanner Darkly (2006).

Comme Fanny Lautissier l’a déjà observé pour le film Valse avec Bachir, on assiste dans ces cas à « une contamination visuelle de la représentation à vocation réaliste par une dimension imaginaire »[1]; parallèlement, en ce qui concerne Nord, Nord-Est, des « effets de réel » provenant de l’esthétique photographique sont utilisés pour rendre les décors dessinés plus crédibles et pour nous plonger dans une histoire. Est-ce que ce « photoréalisme » peut nous faire réfléchir sur le rôle de l’image et sur sa capacité de « mise en scène » et « réalisation » d’un récit?


[1] Fanny Lautissier, Valse avec Bachir, récit d’une mémoire effacée”, Conserveries mémorielles, 26 décembre 2009.

Article de Valentina Grossi, initialement publié sur Métamorphoses, un des blogs de Culture visuelle

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