Un nouveau paywall bien compliqué pour le New York Times

Le 21 mars 2011

Dans une semaine le New York Times va lancer une nouvelle formule de paiement pour son site Internet. Le modèle qui essaie de prendre en compte l'utilisation des réseaux sociaux déconcerte même les spécialistes et risque d'énerver le lecteur.

(Tous les liens sont en anglais sauf mention contraire)

À partir du 28 mars (et c’est déjà le cas au Canada), il faudra payer entre 15 et 35$ par mois pour lire le New York Times intégralement. C’est le modèle inventé par le journal américain qui revient à l’offre payante après un premier échec en 2005 : Times Select a été arrêté en 2007, après avoir rapporté 10 millions de $. A l’époque, Vivian Schiller insistait sur le fait que le modèle “avait fonctionné”, mais freinait l’accès au Times par les moteurs de recherche, et donc la croissance du média.

Aujourd’hui, la “Gray Lady” (le surnom du NY Times) revient avec un modèle très complexe, qui divise déjà les spécialistes.

Anil Dash, d’Experts Labs, le résume ainsi sur le Nieman’s Lab :

C’est très difficile de comprendre un modèle qui vous laisse lire 20 articles par mois, sauf si vous venez de Google, et dans ce cas c’est 150 articles par mois, mais seulement 5 par jour, sauf si vous avez payé 15$, 20$ ou 35$, sauf si vous avez déjà payé pour la version papier, mais seulement si vous êtes au Canada jusqu’à ce que le modèle soit élargi aux Etats-Unis…

Hum…

Essayer de prendre en compte d’où vient le lecteur

En résumé les trois offres payantes sont celles-ci :

  • 15$ pour l’accès web + mobile.
  • 20$ pour l’accès web + tablettes
  • 35$ pour l’accès aux trois supports.

Mais le système se complique pour l’accès gratuit progressif, destiné à éviter l’effet couperet du mur payant, qui a fait perdre au Times de Londres près de 90% de son trafic. David Cohn compare le modèle non pas à un mur mais plutôt à une rampe d’accès, ”comme celle de l’étoile noire dans Star Wars”, plaisante-t-il, sans doute pour souligner les vertus acrobatiques du système.

- Les abonnés au papier auront un “full access” (web+tablettes+mobile). Même si vous êtes abonnés seulement à la “week-end edition”.

- Par contre, l’édition Kindle doit être payée séparément (20$ par mois !) et ne donne pas accès au web.

- Vous pourrez lire jusqu’à 20 articles par mois, sauf si vous venez d’un “referer” c’est à dire que vous avez cliqué sur un lien depuis un blog, ou un réseau social comme Facebook ou Twitter. Après, précise Paid Content, c’est 3,75$ par semaine .

- Si vous venez de Google, c’est 5 articles par jour maximum. Ce qui veut dire que vous pouvez cumuler 150 articles par mois via le moteur de recherche + 20 via le site + autant que vous voulez via les réseaux sociaux (c’est Facebook qui va être content).

Trop compliqué, s’énerve Boing-Boing, qui se demande comment le NY Times va vérifier que l’internaute a dépassé son quota d’articles (un cookie ? une faille dans le navigateur ?) et surtout comment il va le justifier auprès des utilisateurs. “Personne n’est capable de se souvenir combien d’articles du NY Times il a lu dans le mois”, ni s’il venait de Google, d’un réseau social ou du site du journal lui-même, insiste le blog, qui prédit que les utilisateurs vont plutôt mal accueillir le message du NY Times les informant qu’ils ont dépassé leur quota, parce qu’ils seront incapables de vérifier si le robot se trompe ou pas.

Gordon Crovitz, ancien publisher du Wall Street Journal a fait ses calculs : le modèle payant va générer 100 millions de $, qu’il ajoute aux 150 millions de $ générés par la publicité digitale aujourd’hui. Il estime donc que la couche payante va s’ajouter aux revenus publicitaires sans les faire baisser. Crovitz justifie ses chiffres par les récupérées chez les clients du système de paiement en ligne pour les contenus, “Press +”, dont il est le fondateur. Paid Content tombe sur les mêmes chiffres.

Difficile de juger. Les prédictions sont partagées. Personnellement, je serai le dernier à jeter la pierre à des médias qui tentent de trouver des solutions pour payer leurs journalistes et la production d’infos de qualité. Le modèle publicitaire est payant pour quelques site, comme le Huffington Post et Politico, tous les deux rentables. Pour l’instant, personne n’a réussi à démontrer la viabilité d’un système de paiement du contenu d’infos, hors presse pro et business (payées par des professionnels), à large échelle. Des sites comme Mediapart commencent à voir le bout du tunnel  : ils prévoient la rentabilité en 2011, malgré une perte d’1,5 million en 2010, selon l’Expansion[fr], mais il est difficile de savoir ce que les utilisateurs paient vraiment : l’accès au contenu, la participation à un club (comme pour Le Monde.fr) ou un soutien au média ?

L’arrivée des tablettes n’a pas renforcé le modèle payant. Lequel ne peut-être envisagé que comme un supplément au modèle publicitaire. C’est à dire qu’il faudrait parvenir à faire payer une petite couche d’utilisateurs, sans détruire l’audience gratuite. La mécanique de la contrainte fonctionne plutôt bien pour les social games (les jeux sur les réseaux sociaux comme Farmville), mais il est très compliqué à faire fonctionner sur les contenus pour une raison simple : si une information importante est publiée sur un média payant, elle se retrouvera instantanément reprise par les autres médias, synthétisée, recoupée, voire enrichie.

Un modèle frustrant le lecteur

Le seul modèle que je vois aujourd’hui est celui de la couche payante façon club : vous payez un abonnement non pas pour avoir accès aux contenus, mais pour participer à un club, bénéficier d’avantages exclusifs (la carte Fnac, par exemple, est payante, mais vous permet de bénéficier de réductions et de facilités de paiement), voire de contenus exclusifs sous forme d’alertes ou de newsletters. Pour le reste, laisser l’accès libre à vos contenus amènera trafic, publicité, et un potentiel de nouveaux abonnés qui ne réagiront pas par frustration mais par envie. Bien plus positif.

Autre modèle : une sorte de Nespresso de la presse. Un contenu à super valeur ajoutée, dans un packaging de grande qualité (tablette, smartphone), associés à des services VIP valorisants et exclusifs, avec un effet club et réseau. Le tout porté par un marketing puissant, façon Apple ou Nespresso. Ce type de modèle s’adapterait parfaitement à une offre business ou conso.

Ce ne sont pas les choix du New York Times. Leur modèle a un avantage et deux faiblesses : il est suffisamment complexe pour laisser passer le trafic sans gêner la pub (à vérifier avec le temps, cependant), mais trop compliqué pour ne pas frustrer et énerver les utilisateurs habitués à la transparence et à la gratuité. Enfin, il est focalisé sur la vente de contenus, sans apporter d’autres avantages. Ce ne sera peut-être pas suffisant.

>> Illustrations FlickR CC by Kevin Prichard

>> Article publié initialement sur La Social Newsroom sous le titre Le New York Times dévoile son mur payant : trop compliqué ?

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